De la main de Pierre Loti : liste des noms envisagés ce 6 août 1899 pour renommer « Adamenia » ou « Chalet Dantin » en Bakharetchea – « coll. Pierre Pierre Loti-Viaud »
Cette maison construite entre 1863 et 1867 se dresse au-dessus de la Bidassoa qui sépare la France de l’Espagne. Trois terrasses donnent vue sur le fleuve et la berge opposée, Fontarabie et la montagne derrière : le Jaizquibel. Cette vue et le jardin ont séduit Loti qui obtiendra de conserver la maison après son premier commandement et de la louer à titre privé en novembre 1894. Aidé de ses amis basques, il la baptise en aout 1899 « Bakharetchea » qui signifie dans l’esprit de l’écrivain « maison isolée ». En 1903, il en devient propriétaire. Il n’aura de cesse d’y faire des travaux pour lui donner un aspect plus basque et en améliorer le confort. Les derniers de ces travaux les plus importants datent de 1914.
Maison que l’on aperçoit au-dessus de la Bidassoa, à gauche de la dénommée « Villa mauresque » construite entre 1866 et 1868 par le Comte Jules de Polignac. Celui qui en fit sa demeure n’était pas Hendayais ; mais les deux noms « Hendaye » et « Pierre Loti » sont devenus inséparables et on ne peut prononcer l’un sans penser à l’autre. Voici dans quelles circonstances Loti fut amené à connaître Hendaye :
Pierre Loti, nommé au commandement de la station navale d’Hendaye, s’installe dans sa « maison solitaire » le 23 décembre 1891. Progressivement séduit par le Pays basque, ses habitants et leur mode de vie, il la fait définitivement sienne en 1903.
Pierre Loti deviendra, à partir de novembre 1892, un familier du château et un intime de ses propriétaires, Antoine et Virginie d’Abbadie. Virginie sera, jusqu’à sa mort survenue en 1901, une de ses amies les plus fidèles et les plus critiques.
Loti, au grade de lieutenant de vaisseau, est affecté à la surveillance de la Bidassoa – un poste plus consulaire que militaire, qui lui laisse la possibilité d’honorer sa charge d’académicien à laquelle il a été élu le 21 mai 1891. Il effectue un premier commandement de décembre 1891 à juin 1893 et, conquis par cette mission et les lieux, un 2e commandement, sur sa demande, de mai 1896 à décembre 1897.
La maison est magnifiée par le paysage incomparable qui s’étend depuis les terrasses et par un exceptionnel jardin quasi-tropical.
Loti appréciait ce lieu de travail et de rêverie. Il y installe son cabinet de travail à l’été 1905. Auparavant, il écrivait dans une chambre sans décor au premier étage de la maison, reliée à la terrasse par une échelle de corde. C’est là que furent en partie rédigés Matelot et Ramuntcho. Publié en feuilleton en février 1897 puis en livre, ce roman décrit avec une poésie troublante le Pays basque de ces temps d’avant l’industrialisation, où les gens s’adonnent au culte catholique, à la danse, à la pelote et à la contrebande, sans y voir d’antinomies..
Une opinion de Jean-louis Marçot : passerelle non
Loti fait du Pays basque sa patrie de cœur, qu’il lui arrive d’opposer à Rochefort, sa ville-tombeau.
Crucita Gainza et Pierre Loti
Depuis quelque temps un plan germait dans l’esprit de Loti. S’il ne pouvait retourner à Hendaye, il pouvait tout au moins fonder une famille basque : son désir, mâtiné d’eugénisme visait à mêler son sang à celui de cette race splendide qu’il admirait, même s’il savait qu’une seconde famille, d’origine basque ne pourrait porter son nom, ni être reconnue de façon officielle.
Un certain nombre de jeunes filles possibles s’étaient récusées ; elles refusaient de prendre part à une comédie compliquée pour tromper leur famille. Il était convenu, avec le Docteur Durruty, que la candidate devait feindre d’entrer en son service à Paris (l’emploi de domestique étant un mode de vie respectable, aucun parent ne ferait objection). Mais en réalité, la jeune fille choisie prendrait le chemin de Rochefort, où l’on s’engageait à l’établir de façon confortable, quoique modeste, à quelque distance de la rue Saint Pierre. Il montrait son indifférence à l’opinion de sa ville natale et à la détresse de sa femme, il passait outre aux conventions : il avait décidé d’y installer un second ménage et il y réussit !
Une jeune fille d’Hendaye, Cruz Gainza, dite Crucita, de 17 ans de moins que lui, accepta sa proposition.
Et c’est en septembre 1894 que Crucita Gainza quitta son pays natal pour Rochefort où Pierre Loti l’installa discrètement dans une maison de faubourg, ayant le soin de pourvoir à tous ses besoins matériels.
De cette union sont nés trois fils illégitimes : Raymond (1895-1926) ; Lucien, dit Edmond (1897-1975) ; et Fernand, dit Léo (1900- 1901), dernier enfant qui mourut en bas âge.
Crucita, très chrétienne, vivait pleine de remords, allant sans cesse à l’église. Il est impossible de deviner ce qui fit consentir Crucita à cette situation. Elle avait peu d’amis, elle était loin de Hendaye, seule avec ses deux enfants, que Loti avait désirés.
Sur sa famille basque, Loti a fait une allusion discrète dans l’ouvrage « Quelques aspects du vertige mondial », réservant surtout ses pensées intimes à son « pauvre petit, aux larges yeux de poupée, qui ne fit qu’une courte visite aux choses de ce monde ».
Voici quelques lignes, peu connues, qui sont (de faux) adieux au Pays Basque, écrites après son 2e commandement et avant son grand voyage en Orient, en novembre 1898 :
Adieux au Pays basque (Ascain et Sare, novembre 1898)
Adio, Euskualleria !
« [...] Partir !… Dans quelques jours, dans très peu de jours, je serai loin d’ici. Et il y a, pour toute âme humaine, une intime tristesse à s’en aller de tel ou tel coin de la terre où l’on avait fait longue étape dans la vie. Elle avait duré plus de sept ans, mon étape imprévue au pays basque ; –il est vrai, avec des intermèdes de voyages en Arabie ou ailleurs, mais toujours avec des certitudes de revenir. Et je gardais ici une maisonnette isolée qui, pendant mes absences, restait les volets clos, où je retrouvais à mes retours les mêmes petites choses aux mêmes places ; dans des tiroirs, certaines fleurs fanées des précédents étés… Lentement je m’étais attaché au sol et aux montagnes de ce pays, –aux cimes brunes du Jaiz-Guibel, perpétuellement dressées là devant mes yeux, en face de mes terrasses et de mes fenêtres. Quand on devient trop las et trop meurtri pour s’attacher aux gens comme autrefois, c’est cet amour du terroir et des choses qui seul demeure, pour encore faire souffrir… Et j’ai un délicieux automne cette année, pour le dernier. Les chemins qui, de ma maison, mènent vers le mouillage de mon navire, sont refleuris comme en juin. –C’est là-bas, ce mouillage, au tournant de la Bidassoa, contre le pont de pierres rousses, décoré des écussons de France et d’Espagne, qui réunit, par-dessus la rivière, les deux pays amis et sans cesse voisinants. –Très refleuris au soleil de novembre ces chemins qui, presque chaque jour, aux mêmes heures, me voient passer ; ça et là, des brins de chèvrefeuille, de troène, ou bien des églantines émergeant toutes fraîches d’entre les feuillages rougis. Et les grands lointains d’Océan ou des Pyrénées qui, par-dessus les haies, apparaissent en un déploiement magnifique, sont immobiles et bleus… [...]
Et, de ce là-bas où je serai bientôt, l’Euskualleria, que j’ai habitée sept ans, m’apparaîtra, dans le recul infini, comme un tranquille pays d’ombre et de pluie tiède, de hêtres et de fougères, où sonnent encore le soir tant de vénérables cloches d’églises… »
Loti, très malade, lors d’une rémission, décide de quitter Rochefort pour Hendaye. Il décède dans sa maison Bakharetchea le 10 juin 1923. Ce choix est à lui seul significatif de l’importance qu’il accordait à la partie « basque » de son existence. Il voudra de même être enterré sur l’île d’Oléron et non à Rochefort. les funérailles devant avoir lieu à Rochefort, la dépouille mortelle est conduite à la gare où un wagon a été réservé dans le train de Bordeaux. Le cliché ci-dessous montre le cortège funèbre à la sortie de Bakharetchea. D’anciens matelots du Javelot, Osman Daney, Edmond Gueffier, Lucien Labèguerie et Simon Saucès, de même Léo Thémèze et le Dr. Durruty, tiennent les cordons du poêle.
[ Lire l’article d’André Moulis « Amours basques de Pierre Loti – Pages inédites de son journal intime » – accessible en cliquant sur le lien : Amours basques de Pierre Loti-Journal intime de Pierre Loti-André Moulis ]
Sare est devenue célèbre dans la mémoire collective grâce à Pierre Loti qui a plusieurs fois visité le village au début du XXe siècle.
Dans son roman Ramuntcho, Sare apparaît sous le nom d’Etchezar, et l’église Saint-Martin est évoquée :
« […] la cloche d’Etchezar, la même chère vieille cloche, celle des tranquilles couvre-feu, celle des fêtes et celle des agonies, sonnait joyeusement, au beau soleil de juin. Le village était tendu partout de draps blancs, de broderies blanches, et la procession de la Fête-Dieu défilait très lente, sur une verte jonchée de fenouils et de roseaux coupés dans les marais d’en-bas. Les montagnes paraissaient proches et sombres, un peu farouches avec leurs tons bruns et leurs tons fauves, au-dessus de cette blanche théorie de petites filles cheminant sur un tapis de feuilles et d’herbes fauchées […]. »
Ascain , village rendu célèbre notamment par la venue de Pierre Loti en terre Basque au XIXè siècle.
Grâce à ses nombreux séjours à l’hôtel de La Rhune et à son amitié avec son propriétaire, Jean-Pierre Borda (dit Otharré), célèbre pelotari pratiquant la chistera (Ascain 1866-1922), Pierre Loti donne un cadre, des personnages et des couleurs à son roman « Ramuntcho » (1896) qui va devenir un best-seller et populariser une certaine image du Pays basque et d’Ascain.
Vous pouvez cliquer sur ce lien pour consulter le résumé du voyage 2014 au pays basque des adhérents de l’Association Internationale des Amis de Pierre Loti :
http://pierreloti.eu/?cat=75
Et pour en savoir plus :
Nous vous conseillons de lire ou relire deux articles parus dans le bulletin n° 31 de décembre 2014 :
- Pierre Loti et le Pays basque (p. 11 à 14)
- Comment Gabriel Pierné composa la partition musicale de Ramuntcho (p. 15 à 20)
A la rubrique « bulletin » du site, vous pouvez acheter d’anciens numéros ou ceux à venir et encore mieux, vous pouvez rejoindre notre association en adhérant (rubrique AIAPL).
Texte écrit sous le contrôle de Jean-Louis Marçot, d’Hendaye.
Un article de Jean-Louis Marçot dans la revue Patrimoine Pays Basque Barkharetchea par JL Marçot