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In Pierre LOTI l’enchanteur – Christian GENET et Daniel HERVE
Un séjour dans l’île d’Oléron
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C’est durant l’été 1858, à la suite d’une maladie infantile, que Julien fait un long séjour dans l’île d’Oléron. Sa sœur Marie et son grand frère Gustave l’accompagnent. Le lieu de vacances, la Brée, est un village de pêcheurs situé au nord de l’île. Deux chambres ont été louées dans la maison du maire, un logis « aux contrevents massifs, peints en vert comme c’est l’usage dans l’île ». Durant un moi et demi, Marie va tenir un cahier à jour, notant ses impressions, donnant le récit des faits et gestes de son petit frère. Toutefois, elle a transposé les noms. Julien devient Willie, elle-même s’est appelée tendrement « petite mère ». D’après ce cahier personnel, on apprend que Julien est toujours accompagné de petits enfants de la Brée. Ceux-ci le suivent sur la plage, participent à ses jeux, ramassant pour lui coquillages et galets ronds. Une fillette de son âge, Véronique, ne le quitte pas, marchant main dans la main avec lui et échangeant de petits baisers juvéniles. Déjà une petite amie gentille et dévouée, une camarade de jeu qu’il faudra quitter à la fin de l’été, les larmes plein les yeux.
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Au retour de la Brée, Marie et ses deux frères s’arrêtent à Saint-Pierre d’Oléron pour rendre visite à la grand’tante Clarisse et aux deux vieilles demoiselles Lieutier, ses filles. (Clarisse est une sœur de Henriette Renaudin, la mère de Nadine). Ces trois femmes vivent dans le bourg même de Saint-Pierre d’Oléron, à proximité de l’ancienne maison des aïeules vendue par la famille Renaudin en 1834.———–
« L’heure du bain arrivait…il y avait huit pieux fichés en terre qui faisaient deux cabines avec les draps roux de la bonne Mme H…, une pour John, l’autre pour Willie et petite mère qui le déshabillait et l’envoyait barbotter sur la plage. Il tâchait d’attraper la vague qui s’enfuyait toujours et promenait le varech, les méduses et les crabes. La troupe s’asseyait en rond autour des cabines…quelques-uns les plus enhardis présentaient à petite mère des brins d’immortelles ou de criste-marine. Après le bain, on se séchait au soleil, et tout en costume on montait aux tas de sable et on dévalait jusqu’en bas, à la grande joie de Willie qui envoyait dans l’air ses frais éclats de rire. » (D’après le manuscrit de Marie Bon, La Brée, 1858).
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LE GRAND VOYAGE
Vers 1918, hanté par l’idée de la mort, Loti commence à prendre ses dispositions pour être inhumé à Saint-Pierre d’Oléron, au fond du jardin de la maison des aïeules. Là, dit-il, « je serai tranquille dans la bonne paix de la campagne, loin de tous, à l’abri des curiosités profanes ». Mais il faut une autorisation spéciale pour établir une sépulture dans une propriété privée. Loti l’obtiendra du maire de Saint-Pierre d’Oléron après une démarche personnelle effectuée en juillet 1919 (1). Un an après, commence l’aménagement de l’endroit présumé de la tombe. Un aloès planté jadis par Nadine dans la vieille cour, à Rochefort, est déraciné puis déplacé à Saint-Pierre d’Oléron. Pour cela, Loti s’est fait aider par Osman Daney, Samuel, et aussi par ses deux autres fils, Edmond et Raymond Gainza. Puis l’écrivain désigne lui-même l’emplacement de la future tombe, précisant qu’elle devra être située « au pied du myrte, à deux mètres du grand palmier, à main gauche en allant au petit bois ». Il a même prévu que l’on pose après sa mort, un ornement funéraire réduit à un simple cube de pierre. Sur une seule face, deux mots gravés : Pierre Loti (2). En outre, comme il redoute les intrus et les gens trop curieux, il a établi une liste d’une dizaine de personnes, les seules autorisées à se rendre près de sa tombe, deux fois dans l’année seulement. Toujours selon sa propre volonté, cette liste devra être remise aux locataires qui se succéderont dans la vieille demeure et qui seront les seuls gardiens de la sépulture.
On sait qu’après une première attaque de paralysie survenue le 3 mars 1921, Loti est resté très affaibli. Hémiplégique, souvent étendu sur une chaise longue, le vieil homme supporte difficilement sa déchéance physique. Au printemps 1923, son état de santé semble s’aggraver. Il se croit perdu et fait appeler Juliette Adam, sa bonne maman intellectuelle. Malgré ses 87 ans, celle-ci prend aussitôt le train le plus rapide pour Rochefort. Et c’est elle, par sa tendresse de femme et ses propos réconfortants, qui va calmer les craintes de son fils spirituel, lui redonner une certaine confiance.
Quelques semaines plus tard, ressentant un bien-être et un peu plus de vigueur, Loti décide de se rendre à Hendaye. Il veut se retrouver dans son ermitage basque, revoir de sa terrasse le cher décor de Fontarabie et ses Pyrénées espagnoles. Parti de Rochefort par train, le voyage ne semble pas l’avoir fatigué. Ses amis réunis à Bakhar-Etchéa l’entourent d’une sollicitude réconfortante. Il paraît heureux. Puis brusquement, une toux persistante inquiète son fils Samuel, la fièvre qui ne cesse de monter épuise ses forces. Malgré les soins apportés par plusieurs médecins, le grand écrivain charentais s’éteint doucement, sans une plainte, sans lutter contre la mort. C’est dimanche, jour de la Fête-Dieu à Hendaye. Au-dehors, des chants religieux accompagnent la procession qui s’est engagée dans la rue voisine.
1-cette autorisation de principe n’a pas été accordée facilement à Loti. Légalement, la décision définitive ne peut être prise que par le maire en fonction au moment du décès. Aussi, a t-il fallu informer les autorités préfectorales de la Charente-Inférieure pour que le vœu de l’écrivain soit exaucé. C’est le préfet lui-même qui a permis de donner une suite favorable à cette demande particulière.
2-Le bloc de pierre a été gravé par un ouvrier de la marbrerie Chauveau, de Rochefort.
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Après son transport de Hendaye à Bordeaux par chemin de fer, et de là jusqu’à Rochefort par la route, le cercueil est exposé dans la salle Renaissance transformée en chapelle ardente. deux matelots en armes se tiennent près du corps pendant que la population rochefortaise vient rendre un dernier hommage au célèbre écrivain, au concitoyen, au défenseur de l’arsenal et du port militaire de la ville.
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Au début de l’après-midi , le cercueil est hissé sur une prolonge d’artillerie pavoisée aux couleurs nationales. Les matelots de la garnison ont pris position le long de la rue Pierre-Loti et vont escorter l’attelage funèbre dans sa traversée de la ville.
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Le cortège parvient ainsi à l’arsenal puis au port où le cercueil va être embarqué sur l’aviso Chamois, bâtiment que commande le capitaine de frégate Darlan.
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La prolonge d’artillerie s’est arrêtée devant l’embarcadère. Une grue va prendre le cercueil et le déposer sur le pont du navire, doucement, alors que se fait entendre une sonnerie de clairon. Puis le Chamois se mettra en route, ayant à bord les membres de la famille et les personnes intimes. Deux autres bâtiments l’escorteront, Batailleuse et Chasseur, emmenant les personnalités officielles et les journalistes.
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En haut : parvenu en pleine mer, le cortège est alors pris en escorte par quatre contre-torpilleurs, Algérien, Arabe, Kabyle et Sakalave, qui vont conduire le Chamois jusqu’à l’Île d’Oléron. En bas : à l’entrée du chenal de la Perrotine, le cercueil a été transbordé sur une chaloupe. Un Canot à moteur a pris celle-ci en remorque, ainsi que les embarcations assurant le transport des membres du cortège.
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A Boyardville, les Oléronnais se sont rassemblés le long des quais, les écoliers portant de modestes bouquets de fleurs des champs. Débarqué de la chaloupe, le cercueil est placé dans le fourgon qui doit le transporter à Saint-Pierre d’Oléron. La famille prendra place dans des voitures particulières tandis que trois autobus rochefortais assureront le transport des membres du cortège.
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A saint-Pierre d’Oléron, le cortège s’est reformé sur la place de la lanterne. De nombreux écoliers se sont groupés le long du parcours. Ils tiennent de petits bouquets de Julienne, plante ornementale à fleurs rouges que Loti affectionnait car c’était la fleur préférée de ses aïeules de l’île d’Oléron. Quelques hommes de troupes, escortés de sapeurs-pompiers, vont porter le cercueil jusqu’au temple protestant de la petite ville.
Recouvert d’un drap tricolore, le cercueil a été posé au pied de la chaire, la famille ayant pris place sur le côté droit de la nef. Après quelques courtes prières prononcées par le pasteur de Saint-Pierre, le corps de Pierre loti sera de nouveau conduit à bras d’homme vers la maison des aïeules.
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Porté par plusieurs soldats et pompiers, le cercueil est déposé temporairement dans l’entrée de l’ancienne maison de Judith Renaudin.
Dans la cour pavée de la vénérable demeure, la foule s’est rassemblée pour entendre les derniers adieux prononcés par quelques personnalités. L’inhumation n’aura lieu qu’au crépuscule, dans une stricte intimité, Samuel se faisant aider dans cette tâche par quelques marins.
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Une assistance nombreuse et recueillie, s’est rassemblée devant les marches du perron submergé de fleurs. Au premier plan on peut reconnaître Léon Bérard, ministre de l’Instruction publique des Beaux-Arts, représentant le président de la République Raymond Poincaré.
Debout devant le tilleul, Louis Barthou s’est placé entre Samuel Viaud et la femme de Pierre Loti, celle-ci assise près des gerbes de fleurs.
D’autres amis de Loti, comme Claude Farrère et Gaston Thomson, sont également venus aux obsèques. La Turquie est représentée par plusieurs personnalités dont le chargé d’affaires de Turquie en France et le président de « l’Association turque Pierre Loti ».
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Sur le perron de la maison des aïeules, le pasteur parisien Marc Boegner*, ami de longue date de la famille Viaud, prononce les derniers adieux à Pierre Loti. Il va lire devant la foule respectueuse, une page émouvante du Roman d’un enfant : « ma mère est la seule au monde de qui je n’aie pas le sentiment que la mort me séparera pour jamais… et quand j’aurais fini de jouer en ce monde mon bout de rôle misérable, fini de courir, par tous les chemins non battus, après l’impossible, fini d’amuser les gens avec mes fatigues et mes angoisses, j’irai me reposer quelque part où ma mère, qui m’aura devancé, me recevra ; et ce sourire de sereine confiance, qu’elle a maintenant, sera devenu alors un sourire de triomphante certitude ».
*Le pasteur Boegner (1881-1970), grande figure du protestantisme français, Président de l’ERF, puis de la Fédération protestante de France.
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Comme l’a exigé Pierre Loti, sa dépouille repose au fond du jardin de la maison des aïeules, entre le myrte et le palmier, à l’endroit exact choisi par lui-même quelques années avant sa mort. Son testament précisait aussi que son cercueil devait être défoncé, après sa descente dans la fosse « pour être mieux et plus vite mélangé à la terre ». Samuel, en fils respectueux des volontés de son père, s’est acquitté personnellement de cette tâche délicate. Pour indiquer l’endroit où il repose à jamais, le célèbre écrivain a voulu seulement qu’une modeste pierre tombale, taillée en biseau, porte ces deux mots gravés : Pierre Loti.
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Lire ou relire l’ouvrage ci-après, notamment les pages 85 à 118
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Dans le bulletin n° 11 de l’Association Internationale des Amis de Pierre Loti paru en décembre 2004, vous pourrez lire ou relire un article de Philippe Lafon intitulé « PIERRE LOTI ET L’ÎLE D’OLERON » dans lequel sont évoqués les ancêtres oléronnais, les visites en famille, les escales et les obsèques nationales (pages 17 à 25).
Pour commander d’anciens numéros, rendez-vous à la rubrique « Bulletins » de ce site.
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