LE FIGARO.fr HISTOIRE
http://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2017/12/27/26010-20171227ARTFIG00186-les-droles-de-contes-de-noel-du-figaro.php
LES ARCHIVES DU FIGARO – Le 24 décembre 1888, Le Figaro avait l’esprit facétieux et offrait à ses lecteurs des contes de Noël d’un genre particulier : des pastiches de l’œuvre de Maupassant, Zola ou encore Loti.
Quelle mauvaise blague ! Le 24 décembre 1888, Le Figaro appâte ses lecteurs en annonçant pour son édition du lendemain des contes de Noël écrits par « nos romanciers les plus goûtés. » L’écrivain et chroniqueur, Jules Lemaître, claironne ensuite : « Mais j’ai pu, en semant l’or avec une intelligente prodigalité, m’en procurer copie. »
Rien de surprenant jusque-là. Des écrivains célèbres, comme Alphonse Daudet, ont déjà écrit des contes de Noël pour le quotidien. Émile Zola est un collaborateur fidèle du journal. Mais tout cela n’est qu’une plaisanterie comme on le comprend bien vite à la lecture des textes.
Difficile aujourd’hui de s’amuser des pastiches de Paul Bourget, Catulle Mendès ou Ferdinand Fabre, auteurs plus ou moins oubliés. Les autres nous sont en revanche familiers. Le Figaro vous propose de découvrir les drôles de contes de Pierre Loti, Guy de Maupassant et Émile Zola.
En partenariat avec RetroNews, le site de presse de la BnF
Extraits d’un article paru dans Le Figaro du 24 décembre 1888
Contes de Noël
Le Figaro a demandé des Contes de Noël à nos romanciers les plus goûtés. Ces Contes paraîtront tous dans le numéro du 25 décembre. Mais j’ai pu, en semant l’or avec une intelligente prodigalité, m’en procurer copie. Voici, pour les gens pressés, le canevas de quelques-uns de ces petits récits : [...]
M. PIERRE LOTI
NOËL A YOKOHAMA
C’est pendant la nuit du 24 au 25 décembre 1887. Loti, son frère Yves et Mme Chrysanthème sont assis sur des nattes, dans une maison de papier.
Ils rêvent.
Loti pense à ses anciennes nuits de Noël.
Telle année, il était, cette nuit-là, avec la tahïtienne Rarahu ; telle autre, avec Fatou-Gaye, la petite négresse ; et, en remontant toujours, avec la Smyrniote Aziyadé, avec la Chinoise Litaï-pa, avec la Lapone Kouroukoukalé, avec la Montmartroise Nana, et avec beaucoup d’autres encore…
Evocation de petits paysages nocturnes, très intenses et congruents à chacune de ces figures féminines.
Il songe que plusieurs sont mortes, et qu’il mourra, et que nous mourrons tous.
Yves pense à sa Bretagne.
Mme Chrysanthème ne pense à rien.
Loti dit à Yves :
- Tu es triste ?
Yves en convient.
Et alors, pour consoler son frère Yves, Loti l’enferme avec Mme Chrysanthème et va se promener tout seul au bord de la mer.
M. GUY DE MAUPASSANT
LE BOUDIN
D’abord, le préambule ordinaire :
«…Mon ami secoua dans le foyer les cendres de sa pipe, et tout à coup :
- Veux-tu que je te raconte mon premier réveillon à Paris ?
« J’avais dix-neuf ans ; j’étais étudiant en droit, pas riche », etc…
Donc il entre, la nuit de Noël, au bal Bullier. Description brève de ce lieu de plaisir : le jardin éclairé par des verres de couleur, les bosquets, qu’on dirait en zinc découpé, la cascade et la grotte en carton sous laquelle on passe…
Il remarque, parmi les promeneuses, une fille d’allure effarouchée, l’air minable ; vêtue, d’une méchante robe et coiffée d’un énorme chapeau, très voyant, qui fait que les hommes se retournent sur son passage avec des rires et des plaisanteries.
«…Sous ce chapeau, des joues-rondes, fraîches et trop rouges, avec des taches de son sur le nez. Mais les yeux, d’un bleu pâle, étaient très doux, d’une douceur innocente de ruminant ; la bouche était saine, et l’on devinait, sous la robe mal taillée, un corps robuste de belle campagnarde… Elle sentait encore le village et avait dû débarquer tout récemment sur le trottoir. »
Il l’aborde, lui offre un bock. Mais elle laisse son verre à moitié plein et finit par lui avouer qu’elle n’aime pas la bière. Il lui propose de souper dans une brasserie du quartier ; elle accepte docilement, l’appelle « Monsieur » et ne le tutoie pas.
« Je ferais cuire le boudin et les crépinettes… Ça serait gentil et ça me ferait tant de plaisir ! »
Mais, en chemin, voyant son compagnon très poli et le sentant presque aussi timide qu’elle, elle s’enhardit, lui explique qu’elle est de la campagne, des environs de la Ferté-sous-Jouarre ; que ses parents, de petits cultivateurs, la croient en service à Paris ; et que, ayant tué leur porc à l’occasion de la Noël, ils lui ont envoyé tout un panier de provisions « pour faire une politesse à ses bourgeois ».
- Je n’ai pas encore pu y goûter, continue-t-elle. Manger ça toute seule… ça durerait trop longtemps… Et puis ça me ferait trop gros cœur… Alors, monsieur, si ça ne vous gênait pas… au lieu d’aller à la brasserie, nous rentrerions chez moi tout de suite… je ferais cuire le boudin et les crépinettes… Ça serait gentil et ça me ferait tant de plaisir !
Il lui demande :
- As-tu de la moutarde ?
- Tiens dit-elle, c’est drôle, je n’y avais pas pensé.
Il entre chez un épicier, achète un pot de moutarde, plus une bouteille de Champagne à trois francs. Il monte, derrière la fille au cinquième d’un petit hôtel garni de la rue Cujas, étroit comme un phare.
Description brève de la chambre. Il y a, sur la commode, des photographies de paysans endimanchés.
- C’est mes parents, dit-elle.
Elle fricote le boudin et la saucisse dans un petit poêlon sur une lampe à essence… Puis ils se mettent à table… Elle lui raconte son histoire (que vous devinez) ; elle s’attendrit en la racontant ; et ses larmes tombent sur le boudin… [...]
M. ÉMILE ZOLA
UNE FARCE DE BUTEAU
Lise étant morte des suites d’un coup de pied qu’il lui a donné en plein ventre dans un moment de vivacité, Buteau a épousé en secondes noces la Guezitte, une veuve qui possède les meilleures terres de Rognes. La Guezitte a un enfant de son premier mariage, Athénaïs, une petite fille de huit ans, que Buteau, naturellement, déteste et martyrise.
… On doit faire le réveillon chez les Buteau. Ils ont invité M. et Mme Charles, les Delhomme, Jésus-Christ et la Trouille (car la mort du père Fouan a réconcilié toute la famille). En attendant, les femmes sont à l’église, et les hommes au cabaret, où Jésus-Christ explique aux camarades que c’est son jour de naissance et se livre là-dessus à des plaisanteries de pochard que vous me dispenserez de vous rapporter.
Buteau, bon garçon, est resté chez lui pour aider sa femme. Il a, d’une taloche, renvoyé dans sa soupente la petite Athénaïs qui parlait d’aller à la messe de minuit.
Comme il fait un temps « à ne pas f… un curé dehors», Buteau préfère garder la maison.
Préparatifs du réveillon. Longue description coupée de fragments de dialogue extrêmement familiers. Joie de Buteau à la pensée qu’on va « s’en fourrer jusque-là ».
… On s’aperçoit qu’il n’y a plus d’eau-de-vie. Buteau envoie la Guezitte en chercher un litre chez Macqueron. Comme il fait un temps « à ne pas f… un curé dehors », Buteau préfère garder la maison: « T’inquiète pas ! je mettrai la table pendant ce temps-là. » Et il entre dans la chambre, où est l’armoire au linge…
… Il aperçut, sous, la cheminée, une paire de petits sabots, les sabots d’Athénaïs, que l’enfant avait déposés là, en cachette, confiante dans la visite du petit Jésus.
« – N… de D…! gueula Buteau ; je t’en vas f…, moi, des étrennes, enfant de g…! »
Mais tout à coup il se calma. Même une gaieté passa dans ses petits yeux jaunes, comme s’il rigolait intérieurement à la pensée d’en faire une bien bonne.
« Il serra les lèvres, comme quelqu’un qui fait un effort et qui s’éprouve, défit ses bretelles et…»
Non, décidément, je ne puis vous dire ce que déposa Buteau dans les petits sabots d’Athénaïs.
Par Jules Lemaître*
*L’écrivain et dramaturge, futur académicien, avait déjà commis ses Pronostics pour l’année 1887 dans Le Figaro, pastiches des livres à paraître.
En partenariat avec RetroNews, le site de presse de la BnF, consultez le Figaro du 24 décembre 1888 en cliquant sur le lien suivant :
https://www.retronews.fr/journal/le-figaro-1854/24-decembre-1888/104/1103623/1
Cliquez sur « articles précédents » situés tout en bas de cette page pour consulter toutes les actualités