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Publié le mardi 08 août 2017 à 15h34
Compositeur, chef d’orchestre, chanteur et critique musical : la vie comme l’oeuvre de Reynaldo Hahn valent la peine d’être connus.
Reynaldo Hahn, incontournable personnage des salons parisiens de la Belle Epoque, compositeur prolifique et chanteur de talent, n’a cependant jamais acquis la notoriété posthume de certains de ses contemporains, comme Maurice Ravel, Erik Satie ou Camille Saint-Saëns.
Et pourtant ! Il a composé plus d’une centaine de mélodies – dont plusieurs font partie des incontournables du répertoire lyrique – six opéras, une dizaine d’opérettes, neuf musiques de ballet, et un grand nombre de pièces pour piano ou orchestre.
Certaines de ses partitions ont été perdues, beaucoup de ses œuvres oubliées, et la vie du compositeur est aujourd’hui méconnue… Pour rendre justice à cet important personnage musical, voici 10 (petites) choses que vous ne savez (peut-être) pas sur Reynaldo Hahn !
Né au Venezuela
On présente souvent Reynaldo Hahn comme « le plus Parisien des compositeurs », or il est né bien loin de la capitale française, à Caracas, au Venezuela, le 9 août 1874.
Sa mère est d’origine basque espagnole et son père allemand. La famille vit plus que confortablement car M. Hahn est à la tête d’un véritable empire industriel, possédant même un journal local. Depuis son installation sur le sol vénézuélien, il a pris part aux grands travaux de modernisation entrepris par le président Antonio Guzmán Blanco, tels que la construction de routes et de lignes de chemin de fer.
Dans les années 1870, la contestation politique s’accroît parmi le peuple vénézuélien, et le général Guzman Blanco comme la famille Hahn sont forcés de quitter le pays. C’est ainsi qu’en 1878, le petit Reynaldo pose pour la première fois les pieds sur le sol français…
Au service de la patrie
Arrivé à Paris à l’âge de quatre ans, Reynaldo Hahn n’est naturalisé français que trente ans plus tard, en 1908. Il maîtrise parfaitement la langue française, est diplômé du conservatoire… alors pourquoi ne pas en avoir fait la demande plus tôt ? Certainement parce qu’il n’en ressent ni le besoin ni la nécessité avant 1908, époque à laquelle ne font qu’augmenter les tensions nationalistes.
Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, Reynaldo Hahn veut à tout prix servir sa patrie et se porte volontaire pour rejoindre le front. Du fait de son statut de compositeur, il est tenu à l’écart des combats, mais il arpente néanmoins les tranchées parmi les soldats et subit les horreurs de la guerre.
Malgré l’importance qu’il accorde à ses fonctions militaires (il sera décoré de la Légion d’honneur en 1917), Reynaldo Hahn n’en oublie pas pour autant sa mission première : la musique. Depuis le front, dans les conditions les plus déplorables, il compose.
Jeune prodige
C’est Carlos Hahn, le père de Reynaldo, qui remarque les talents musicaux de son fils. Après une soirée au théâtre ou à l’Opéra Comique, le garçon s’amuse à reprendre au piano les airs entendus la veille. A huit ans, Reynaldo suit ses premiers cours de piano et à onze ans, il entre au conservatoire de Paris.
Il y rencontre l’un des plus importants personnages de sa vie sociale et musicale : Jules Massenet, professeur de composition. Maître et élève nouent un lien étroit, proche d’une relation père/fils. Reynaldo consultera toute sa vie son ancien professeur. Il requiert son avis sur ses compositions, comme Massenet demande parfois à son ancien élève de relire ses épreuves, par exemple celles de son grand opéra Werther.
Reynaldo Hahn devient très vite un compositeur réputé et demandé. L’année de ses 16 ans, il reçoit déjà des commandes, et ce, de la part des grands noms de la littérature ou de la scène parisienne : les écrivains Pierre Loti et Alphonse Daudet, ou encore l’actrice Sarah Bernhardt. De prestigieux parrains et marraines qui reflètent l’enviable statut social du jeune Reynaldo, invité régulier des salons les plus prestigieux…
Une vie de salons
Qu’est-ce qu’un salon de la Belle Epoque ? La recette est simple : une grande dame, souvent issue de l’aristocratie, organise de manière régulière (tous les lundis par exemple), une réunion d’intellectuels et d’artistes. L’objectif : faire de son salon un lieu où il faut être vu.
Le jeune Reynaldo Hahn fait partie de ces invités qui augmentent le capital prestige d’une réunion. Non seulement il est séduisant et cultivé, mais en plus il fait entendre ses délicieuses compositions mélodiques au piano, devant un parterre d’invités charmés.
Reynaldo n’est pourtant pas féru de ce genre de mondanités. Non pas qu’il se sente mal à l’aise, mais il est de caractère plutôt tranquille et raisonnable – « je suis rudement pot-au-feu ! » écrit-il à son ami le pianiste Edouard Risler, en 1892 – et préfère les dîners ‘décontractés’, comme ceux organisés par son maître Jules Massenet ou l’écrivain Alphonse Daudet.
Chez l’auteur des Lettres de mon moulin, le jeune compositeur croise les chemins de grandes figures littéraires : Emile Zola, Stéphane Mallarmé, Pierre Loti, ou encore Paul Verlaine. Reynaldo a composé quelques-unes de ses premières mélodies sur des vers de Verlaine (Chansons grises) et a ainsi l’occasion de les interpréter devant le poète.
Marcel Proust
Reynaldo Hahn et Marcel Proust ont d’abord été amants, avant de devenir amis. Leur relation a fait couler beaucoup d’encre : d’abord parce qu’elle représente une affaire sentimentale plutôt remarquable pour l’époque, mais aussi car la correspondance des deux artistes a été conservée et publiée.
Suite à leur rencontre en 1894 dans un salon, ils sont inséparables pendant deux ans, parcourent ensemble le tout Paris et vont régulièrement se ressourcer à la campagne. Lorsque se termine leur idylle, Marcel écrit à Reynaldo : « Si cela nourrit votre pensée de poète et votre génie de musicien, j’aurai du moins la douceur de penser que je ne vous ai pas été inutile. »
Le lien qu’ils ont créé ne se rompt cependant jamais, et tous deux restent proches amis : Marcel assiste à chaque première des œuvres de Reynaldo et le musicien relit les pages d’un roman qui deviendra un classique : A la recherche du temps perdu.
Critique et essayiste
La complicité entre Hahn et Proust s’explique, entre autres, par la passion du compositeur pour les belles lettres. Reynaldo dévore les romans de Flaubert, Balzac ou Dumas, s’intéresse à la poésie, et écrit. Dès l’âge de 25 ans, il collabore ainsi avec différents journaux, dont L’Echo de Paris et Le Figaro, couvrant les grands événements de la vie musicale, comme la première parisienne de Parsifal de Wagner, en 1914.
Le musicien se fait critique, mais aussi essayiste. On lui doit trois ouvrages dont un traité sur l’art du chant, qu’il introduit cependant avec prudence : « Quand je critiquerai ce que je crois mauvais et que je chanterai ensuite, n’allez pas croire que je m’imaginerai bien faire. »
Monsieur Mélodie
Le compositeur prend des pincettes pour aborder l’art du chant, car il est lui-même interprète. Et si sa voix de baryton a la réputation d’être bien belle, il accorde davantage d’importance à l’interprétation : « La véritable raison d’être du chant, c’est la combinaison, le mélange, l’union indissoluble du son et de la pensée. Le son, si beau qu’il soit, n’est rien s’il n’exprime rien. »
Cette idée d’expressivité subtile, de l’union entre le son et l’intellect, est caractéristique de ce qu’on appelle l’esprit français. Reynaldo en devient l’un des principaux ambassadeurs. Le succès de ses mélodies repose ainsi sur leur qualité mélodique et prosodique, sur l’égale importance qu’il accorde aux mots et à la musique.
Chef d’orchestre
Reynaldo Hahn accorde tant d’importance à l’art vocal que, lorsqu’il a l’occasion de diriger des chanteurs, il en devient particulièrement perfectionniste et exigeant. Et pour un fou de lyrisme et de subtilité, quelle meilleure référence que les airs d’opéra du grand maître viennois, Wolfgang Amadeus Mozart ?
En 1906, Reynaldo Hahn est invité par le prestigieux Festival de Salzbourg pour diriger deux représentations de Don Giovanni. Plus tard, il dirigera des œuvres de Mozart à Paris, comme La flûte enchantée en 1922 au Palais Garnier, ou encore Les noces de Figaro et L’enlèvement au sérail, en 1937.
Opéras et opérettes, le répertoire oublié
Le Reynaldo Hahn compositeur aura davantage survécu au Reynaldo Hahn chef d’orchestre, quand bien même la plupart de ses oeuvres sont tombées dans l’oubli : L’Ile du rêve et La Carmélite (opéras), le Bal de Béatrice d’Este (musique de chambre), La Fête chez Thérèse (ballet)…
De son vivant, il aura souffert (comme beaucoup de ceux qui ont écrit pour l’opérette), de l’étiquette de ‘compositeur de musique légère’. Et si ses œuvres remportent à chaque fois un franc succès auprès du public, elles n’entrent pas pour autant dans le grand répertoire. Seule mais notable exception : Ciboulette, une opérette créée en 1923 au Théâtre des Variétés, reprise à travers la France entière ainsi qu’à l’étranger, et que l’on joue aujourd’hui encore dans les maisons d’opéra, comme en 2013 et 2015 à l’Opéra Comique, sous la direction de Laurence Equilbey.
Une fin au sommet
Les dernières années du compositeur sont celles de la reconnaissance, de la consécration. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il est nommé directeur de l’Opéra de Paris et donne de nombreuses conférences. Mais à 70 ans passés, sa santé est fragile. Il souffre de migraines et d’absences.
En 1946, on lui détecte une tumeur au cerveau et le 28 janvier 1947, il s’éteint dans son appartement de la rue Greffulhe, à deux pas de l’Église de la Madeleine où sont alors données ses funérailles. Reynaldo Hahn repose aujourd’hui au cimetière du Père Lachaise, au côté de sa famille, de son protecteur Alphonse Daudet et de son éternel ami Marcel Proust.
Bibliographie BLAY Philippe (directeur d’ouvrage), Reynaldo Hahn. Un éclectique en musique, Actes Sud, 2015
GAVOTY Bernard, Reynaldo Hahn. Le musicien de la Belle Epoque, Buchet/Chastel, 1976
DEPAULIS Jacques, Reynaldo Hahn, Séguier, 2007
Par Nathalie Moller
Pour compléter votre information, vous pouvez consulter la page de couverture et le sommaire du bulletin n° 36 de juin 2017, édité par l’Association Internationale des Amis de Pierre Loti, dans lequel un long article de Philippe Blay est consacré à “l’Opéra de Loti : l’île du rêve de Reynaldo Hahn”, suivi d’informations et de témoignages rassemblés sous le titre ”Quel destin pour cette œuvre de Reynaldo Hahn?”, en cliquant sur ce lien : http://pierreloti.eu/?cat=40
Pour faire l’acquisition de ce numéro et d’autres éventuellement, cliquez : http://pierreloti.eu/?cat=38
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