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Publié le 27/07/2017
En 1901, pendant huit mois, « Le Figaro » publie des articles écrits par Pierre Loti depuis la Chine, où l’écrivain, en tant qu’officier de la Marine, participe à la guerre des Boxers.
Le 9 mai 1901, Le Figaro publie, en une, le premier épisode d’un récit qui s’étalera jusqu’à la fin du mois de décembre. L’auteur, Pierre Loti, célèbre pour ses romans orientalistes, y raconte son voyage en Chine, où il s’est rendu l’année précédente à bord du cuirassé le Redoutable. En tant que lieutenant de vaisseau, il participe en effet à la guerre des Boxers qui secoue le pays depuis 1899, opposant les rebelles chinois (les Boxers) aux colons étrangers (l’alliance des huit nations, parmi lesquelles la France).
Loti décrira les Boxers comme « à la fois atroces et admirables, grands hystériques de la patrie chinoise, qu’affolaient la haine et la terreur de l’étranger« . Dans cette première « lettre de Chine », il raconte l’arrivée par mer, le 11 octobre 1900, des troupes françaises débarquées du Redoutable :
« Et jamais rivage d’une laideur plus féroce n’a surpris et glacé de pauvres soldats nouveaux venus. […] Jamais entrée de pays n’a présenté un attirail militaire plus étalé ni plus agressif ; sur les deux bords de l’horrible fleuve aux eaux bourbeuses, ces forts se dressent pareils, donnant le sentiment d’un lieu imprenable et terrible,— laissant entendre aussi que cette embouchure, malgré ses misérables alentours, est d’une importance de premier ordre, est la clef d’un grand État, mène à quelque cité immense, peureuse et riche, — comme Pékin a dû être. »
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Le 22 mai, il décrit les rues dévastées de Tsin-Tsin, où s’est tenue en juillet une féroce bataille entre d’un côté l’armée chinoise et les Boxers, et de l’autre les nations étrangères. Et il écrit en parlant des rues européennes : « toutes ces maisons, presque luxueuses, aujourd’hui sont criblées d’obus, éventrées, sans toiture ni fenêtres« . Avec les zouaves qui l’accompagnent, Loti continue son chemin en jonque, sur le fleuve Peï-Ho. Puis c’est Pékin, qui surgit, sinistre, dans la campagne chinoise :
« – Pékin ! me dit tout à coup l’un de ceux qui cheminent avec moi, désignant une terrible masse obscure, qui vient de se lever au-dessus des arbres, un donjon crénelé, de proportions surhumaines. [...] La muraille de Pékin nous écrase, chose géante, d’aspect babylonien, chose intensément noire, sous la lumière morte d’un matin de neige et d’automne. Cela monte dans le ciel comme les cathédrales, mais cela s’en va, cela se prolonge, toujours pareil, durant des lieues. […] Et, du haut de chacun des créneaux noirs, un corbeau, qui s’est posté, nous salue au passage en croassant à la mort. »
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C’est une cité saccagée que découvre Pierre Loti : la capitale, à l’été 1900, a vu la confrontation entre les légations étrangères assiégées et les troupes des Boxers soutenues par le pouvoir impérial. Le siège, qu’on appellera les « 55 jours de Pékin », s’est soldé par la victoire des puissances étrangères et le massacre des Chinois rebelles. Dans le numéro du 11 août, Loti dépeint la ville, transformée après la bataille en décor d’apocalypse :
« Au centre de l’esplanade, la pagode magnifique, où des obus sont venus éclater, est encore dans un désarroi de bataille. Et la divinité de céans — une déesse blanche, qui était un peu le palladium de l’empire chinois, une colossale déesse d’albâtre en robe d’or brodée de pierreries — médite les yeux baissés, calme, souriante et douce, au milieu des mille débris de ses vases sacrés, de ses brûle-parfums et de ses fleurs. »
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Le 2 septembre, dans une description horrifiante, il évoque les charniers où s’amoncellent les corps des Boxers massacrés :
« En fait de découvertes, nous avons ce matin celle d’un amas de cadavres : les derniers défenseurs de la « Ville impériale », tombés là au fond de leur tranchée suprême, en tas, et restés enchevêtrés dans leurs poses d’agonie. Les corbeaux et les chiens, descendus au fond du trou, leur ont vidé le thorax, mangé les intestins et les yeux ; dans un fouillis de membres n’ayant presque plus de chair, on voit des épines dorsales toutes rouges se contourner parmi des lambeaux de vêtements. Presque tous ont gardé leurs souliers, mais ils n’ont plus de chevelure : avec les chiens et les corbeaux, d’autres Chinois évidemment sont descendus aussi dans le trou profond et ont scalpé les morts pour faire de fausses queues. Du reste, les postiches pour hommes étant en honneur à Pékin, tous les cadavres qui gisent dans nos environs ont la natte arrachée avec la peau et laissent voir le blanc de leur crâne. »
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Son récit laisse aussi la place à des notations plus légères, comme lorsque, dans le numéro du 4 novembre, l‘écrivain assiste à la sortie d’un groupe d’élégantes Pékinoises :
« Et elles étaient bien là deux ou trois cents élégantes, qui commencent de sortir l’une après l’autre avec lenteur, sur leurs pieds trop petits et leurs chaussures trop hautes. Oh ! les étranges minois fardés et les étranges atours, émergeant à la file, par la porte étroite ! Ces coupes de pantalons, ces coupes de tuniques, ces recherches de formes et de couleurs, tout cela doit être millénaire comme la Chine, — et combien c’est loin de nous ! on dirait des poupées d’un autre âge, d’un autre monde, échappées des vieux paravents ou des vieilles potiches, pour prendre réalité et vie sous ce beau soleil d’un matin d’avril. »
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La guerre des Boxers prend fin en septembre 1901, avec la signature d’un traité de paix. Le récit de Loti, quant à lui, sera publié dans Le Figaro jusqu’au 30 décembre 1901. Il paraîtra sous forme de livre en 1902, avec pour titre Les Derniers Jours de Pékin.
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