« En dehors de l’enfance et de l’oubli, il n’y a que la grâce qui puisse vous consoler d’exister. » (Ionesco, 1967).
Il y a cent trente ans, le 16 janvier 1891, rue de Rivoli, à Paris, est mort le compositeur français Léo Delibes, à l’âge de 54 ans (il est né le 21 février 1836). Il était un « petit génie » des opérettes et des opéras, bien de son temps. C’était l’esprit de légèreté de la gaieté lyrique (l’esprit d’Offenbach).
Inspiré par Wagner et Tchaïkovski, mais sans jamais vouloir les imiter, Léo Delibes a commencé à composer des opérettes dès l’âge de 20 ans pour les théâtres de boulevard parisiens, et ce fut rapidement un succès. Organiste, chef de chœur, il a composé aussi des opéras et ballets. Il fut rapidement connu des milieux musicaux, recruté par l’Opéra de Paris.
Son ballet « Coppélia, ou la Fille aux yeux d’émail », d’après un contre d’Hoffmann, fut créé le 25 mai 1870 à Paris (Opéra Le Peletier), et ce fut un triomphe, un succès qui a perduré puisque « Coppélia », qui, en fait, n’était qu’une poupée dans le conte, a eu un peu de postérité : elle est le nom de baptême d’une salle municipale à La Flèche (dans la ville natale de Léo Delibes), et même le Salon des glaces de La Havane a pris ce nom par la volonté de la compagne de Fidel Castro. En outre, l’école de danse de Vierzon porte aussi ce nom.
Après la guerre de 1870 pendant laquelle il fut mobilisé, il continua à composer avec talent sa musique mélodieuse et il fut admis dans les cercles intellectuels, élu même membre de l’Académie des Beaux-arts le 6 décembre 1884, rejoignant sous la Coupole Camille Saint-Saëns et Jules Massenet au fauteuil de Victor Massé (furent parmi ses successeurs Marcel Dupré, Darius Milhaud et Bruno Montovani, l’actuel titulaire).
En un peu plus d’une trentaine d’années, il a laissé près d’une centaine d’œuvres musicales, souvent de fête et de joie, surtout des opéras, opérettes, quelques ballets. Entre autres, il a mis en musique ou repris des textes d’Alfred de Musset (« Les Filles de Cadix », repris bien plus tard par Miles Davis et Gil Evans) et de Victor Hugo (« Le Roi s’amuse »).
S’il fallait ne choisir qu’une seule œuvre de Léo Delibes, je n’hésiterais pas un instant à proposer son opéra « Lakmé » inspiré d’un roman de Pierre Loti (« Rarahu ou le Mariage de Loti » sorti quelques années auparavant). L’opéra fut créé le 14 avril 1883 au Théâtre national de l’Opéra-Comique à Paris, avec la cantatrice Marie van Zandt. Son cadre est exotique (indien) était très à la mode à l’époque en France (il y avait eu Georges Bizet avec ses « Pêcheurs de perles » créé le 30 septembre 1863, et Jules Massenet avec son « Roi de Lahore » créé le 27 avril 1877).
Ce fut un énorme succès, renouvelé au point d’avoir déjà atteint la millième représentation moins de cinquante ans après sa création (le 13 mai 1931). La soprano Mady Mesplé (qui est morte le 30 mai 2020) a interprété le personnage de Lakmé lors de la mille cinq centième représentation le 29 décembre 1960. Parmi les dernières cantatrices de cette longue lignée, on peut citer la flamboyante Natalie Dessay en 1995.
Trois actes, et un morceau est particulièrement connu, absolument magnifique, issu du premier acte, le « Duo des fleurs », appelé aussi dans l’opéra « Sous le dôme épais », rencontre entre Lakmé et sa domestique Mallika. Cet air a même été régulièrement diffusé par la chaîne culturelle Arte comme extrait du téléfilm d’animation collectif « Opéra imaginaire » sorti en 1993 qui propose des extraits d’opéras célèbres (réalisé par Pascal Roulin et animée par Violaine Janssens pour la partie « Lakmé »).
Le film lui-même est fantastique, à la fois la musique chantée et l’animation sont des ingrédients d’un monde onirique et aseptisé qui permet de passer quelques minutes magiques à mille lieues de la vie quotidienne et de ses réalités. C’est cela, le génie français !… Saluons-le en l’écoutant avec succulence.
Comment, avec Delibes, ne pas rejoindre Julie de Lespinasse, égérie de D’Alembert, dans son enthousiasme un peu candide pour la musique ? Dans sa lettre du 14 octobre 1774, elle l’exprimait à son correspondant et amant, le comte de Guibert : « Oh ! Quel art charmant ! Quel art divin ! La musique a été inventée par un homme sensible, qui avait à consoler des malheureux. Quel baume bienfaisant que ces sons enchanteurs ! ». Une émotion qui soulève les cœurs…
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Sylvain Rakotoarison
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