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En boutique, Jacques Weber fait un effet bœuf
Chronique. Le lundi 20 mai, une boucherie parisienne accueillait une lecture théâtrale du comédien français. La chroniqueuse de « M » y était.
« Glissez-vous là, bien à gauche. » Les invités se poussent, la tête sous les saucissons. Être placé derrière les vitrines réfrigérantes, c’est l’équivalent des baignoires au théâtre. C’est Hugo Desnoyer qui reçoit. Il fait partie, avec Yves-Marie Le Bourdonnec, du cercle des bouchers dont on connaît le nom.
Pour ceux qui les confondent – les deux ont une boucherie dans le 16e arrondissement de Paris et un fort besoin de reconnaissance –, Desnoyer, c’est celui dont la vitrine annonce qu’il fournit l’Élysée, le Sénat, l’Assemblée nationale, et Le Bourdonnec celui qui tenta de convoquer la presse en 2012 pour annoncer son ralliement à Jean-Luc Mélenchon.
Une session avec des textes autour de la nourriture en général, et de la barbaque en particulier.
Bon nombre des invités ont connu l’époque où l’on ne se demandait pas pour qui votait son boucher. En arrivant, Hugo Desnoyer leur a servi à boire sur un coin de trottoir pendant qu’on installait les chaises. « On finit les clopes, les verres, et on commence… » On fume, on boit, on grignote de la viande… Il y a là un tel goût de défendu. Un peu comme si on s’autorisait à rouler en voiture sans ceinture de sécurité.
Jacques Weber n’a pas encore fait son entrée. L’idée de la soirée est née après un anniversaire d’Hugo Desnoyer. Le comédien, qui est un habitué, lui avait fait la surprise de jouer dans la boucherie. Sa responsable de communication lui a proposé de faire une deuxième session avec des textes autour de la nourriture en général, et de la barbaque en particulier.
« Entre Cannes et les européennes, je suis content que vous ayez pu venir », dit une voix. Il y a là des journalistes, des amis, des clients de la boutique, voire des gens qui appartiennent à plusieurs de ces catégories à la fois. Joey Starr, admirateur de l’acteur, assistait à la première. Ce soir, Danièle Thompson s’est assise à son côté. Son fils, Christopher Thompson, et son épouse, Géraldine Pailhas, viennent régulièrement à la boucherie, qui fait table d’hôtes à midi.
« Morceaux choisis »
Accrochée derrière l’acteur, une énorme cuisse de bœuf limousine magnifiquement éclairée dans l’obscurité par l’éclairagiste de Weber. Et sur les étagères des livres du boucher, justement titrés « Morceaux choisis ». Weber est venu avec les siens, des textes posés sur la balance et sur les planches de travail. Il interprète d’abord des classiques comme « le petit bruit de l’œuf dur », de Prévert (le poème La Grasse Matinée) ou le passage de la madeleine de Proustdans Du côté de chez Swann.
Puis des extraits qui poussent les invités à se demander jusqu’où ils aiment la viande. Courteline : « Il déposa dans mon assiette quelque chose de noir avec un trou dedans. Je regardai. C’était l’œil ! […] et fermant précipitamment les yeux, j’avalai d’un seul coup l’œil horrible du veau ! » Ou Pierre Loti, avec le récit de l’abattage de deux bœufs : dont l’un« poussa un beuglement de détresse. [...] Il y avait là-dedans du lourd reproche contre nous tous ».
Du côté des vivants
Mais il n’y a pas tellement de lourd reproche de Weber contre les clients de la boucherie. « Je suis viandard, j’aime la viande, le bœuf… », clame l’acteur avant d’énumérer ses carnes favorites. Les gens qui font les métiers de bouche, assure-t-il, aiment plus encore les animaux. Il cite alors Jean Yanne : « Bouffer de la merde, ça simplifie la digestion. »
A l’écouter, célébrer la viande et la bouffe vous placerait du côté des vivants. Desproges estimait qu’on pouvait apprécier une femme en l’observant à table. N’est pas sensuelle « celle-là qui chipote devant les plats nouveaux exotiques, celle-là qui met de l’eau dans le pauillac, qui grimace au-dessus des pieds de porc farcis, qui repousse les myrtilles à côté du filet de sanglier »…
Face aux clients de la boucherie, Weber devient aussi Harpagon. « Nous serons huit ou dix ; mais il ne faut prendre que pour huit. Quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix. » Derrière sa caisse, Desnoyer sourit, sans doute familier du calcul. La soirée est un succès. On crie :« Bravo ! », « Merci ! » Demain, on ira s’acheter des côtelettes à la Comédie-Française.
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