Trois raisons de (re)lire Claude Farrère, écrivain d’extrême-droite… injustement oublié

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Réception de Charles Maurras (1868-1952),

Arrivée de Claude Farrère à l’Académie française à Paris le 8 juin 1939. Roger-Viollet

 

Prix Goncourt et académicien, écrivain voyageur, auteur de quelques énormes succès (“La Bataille”…), Claude Farrère (1876-1957) renaît le temps d’un gros volume-compilation.

 

1. Il prouve que les honneurs n’évitent pas l’oubli, ce qui est une leçon d’humilité

 

Et Claude Farrère (1876-1957) les a cumulés, les honneurs, avant de sombrer dans un purgatoire complet… Il obtint le prix Goncourt en 1906 pour Les Civilisés, il connut un énorme succès en 1909 avec La Bataille, un million d’exemplaires vendus et deux adaptations au cinéma, et il fut élu à l’Académie française contre Paul Claudel en 1935. Cette dernière consécration fit dire à François Mauriac, plus pour des raisons politiques que littéraires, que cette élection était « la plus scandaleuse qui se soit jamais perpétrée quai Conti ». La phrase le poursuit encore. Quel poids a-t-elle joué dans la désaffection de ses lecteurs ?

2. Il est le témoin d’une époque

 

Officier de marine, où il servit sous les ordres de Pierre Loti, qui devient un ami proche, Frédéric Charles Bargone a été envoyé dans les mers du Levant, prit part aux campagnes de Chine et du Tonkin en 1897 et 1899, servit en Turquie de 1902 à 1904. En Mars 1915, il évita de peu la mort : malade, il était descendu de son bateau, le Bouvet qui fut coulé avec 800 hommes à bord. En octobre 1917, mis à disposition de l’armée de terre, il participera à la bataille de la Malmaison et recevra la Croix de Guerre. En désaccord avec les décisions du gouvernement la concernant, il quittera la marine en 1919, et rejoignit les rangs de l’extrême-droite : collaborateur du Flambeau, le mensuel des Croix-de-feu, il fut dans les années 50 membre de l’Association pour défendre la mémoire du Maréchal Pétain (ADMP). 

3. Sa vision des colonies est étonnamment subversive, surtout quand on voit son parcours politique

 

On peut alors se demander pourquoi rééditer l’œuvre un peu démodée d’un homme d’extrême-droite racontant ses colonies ? D’abord parce que c’est un de ces écrivains vagabonds (comme Loti, Monfreid, Joseph Peyré, les frères Tharaud….) pour qui voyage ne rimait pas encore avec « tour opérator » et que l’évocation de ces temps bénis reste toujours empreinte d’un charme aussi extrême que l’Orient que parcouraient ces aventuriers. Ensuite parce que sa vision du colonialisme est beaucoup plus sévère que ce que son évolution ultérieure aurait pu laisser craindre.

Dans Les Civilisés, qui lui vaudra son prix Goncourt, roman qui se passe au Vietnam, il s’élève avec violence contre les expatriés et leur mentalité. Même si les autochtones ne sont qu’une toile de fond assez indifférenciée, la colonisation qu’il dépeint est immorale, maléfique et dégradante, et la peinture de la civilisation triomphante pour le moins caustique. Dans La bataille, son livre le plus connu, il y joint une très juste peinture de l’âme japonaise déchirée entre la tradition et la modernité occidentale. Dans Fumée d’opium, il évoque les plaisirs de la drogue avec un enthousiasme qui, en ces temps de débats sur la vente libre du cannabis, résonne soudainement avec l’actualité. Témoin de son temps, Farrère est un romancier qui, sans prétendre au génie mais doué d’une vraie puissance d’évocation, mérite qu’on s’attarde dans les plis soyeux de ses pages ouvertes sur le large.

La Mer, l’Orient, l’opium, de Claude Farrère, recueil regroupant La bataille, Les Civilisés, Fumée d’opium, L’Homme qui assassina, Nuit turque. 848 p, 35 euros.

Et pour en savoir plus :

* L’abondante œuvre littéraire de Claude Farrère  fut parfois rapprochée de celle de son ami Pierre Loti, pour lequel il avait une grande estime. Tous les deux s’intéressèrent particulièrement à la Turquie et au Japon.

- Claude Farrère  consacra un premier ouvrage à son ami : Loti ( paru en 1929) dans lequel il évoque leur première rencontre en 1903, puis tous les moments qu’ils ont ensuite  passés ensemble (de 1904 à 1921), et la dernière visite qu’il lui rendit  à Rochefort en 1921.

- Un deuxième ouvrage Loti et le chef  est paru en 1930

- Un livre illustré Cent dessins de Pierre Loti pris sur le vif et ramenés de ses nombreux voyages et escales, et commentés par Claude Farrère est paru en 1930 aux Editions Flammarion

* A lire –>  Le cas Farrère. Du Goncourt à la disgrâce  par Alain Quella-Villéger (paru en 1989 aux Presses de la Cité)

* A écouter –>  l’émission Le Japon et Nagasaki par Pierre Loti et Claude Farrère de l’Académie française ( avec des extraits de leurs romans respectifs Madame Chrysanthème et La bataille ) . Un extrait est accessible gratuitement en ligne en cliquant sur le lien :

https://www.canalacademie.com/ida9530-Le-Japon-et-Nagasaki-par-Pierre-Loti-et-Claude-Farrere-de-l-Academie-francaise.html?var_recherche=Emission%20Le%20Japon%20et%20Nagasaki

 

cent dessins Loti par Farrère

 

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