Par Thierry Clermont Publié le 25/07/2016 à 19h21 LE FIGARO
DES ÉCRIVAINS ET DES PORTS (2/6) –
En 1886, l’officier de marine publie Pêcheur d’Islande, un roman célébrant le courage de ces marins de Paimpol partis pêcher dans les eaux froides du Nord.
On arrive à la gare en sortant d’un tortillard qui prend son temps et met une heure pour rejoindre Paimpol, depuis Guingamp, après avoir surplombé le bel estuaire du Trieux. Du temps de Loti, il ne fallait pas moins de quatre heures de diligence… On songe à son mot: «C’est le bout du monde, ce petit pays…» C’est un bel après-midi de mai, la lumière est radieuse, douce ; on jette un œil sur «les coins de ciel floconnés» qu’affectionnait Flaubert, autre grand amoureux de la Bretagne. Paimpol : port de plaisance, petite ville des Côtes-d’Armor riche d’un peu plus de 7 000 âmes, jadis grand port de pêche. Cette cité du pays goëlo doit sa renommée à une chanson de Théodore Botrel, La Paimpolaise et au roman de l’officier de marine Pierre Loti Pêcheur d’Islande, paru en 1886.
Pêcheur d’Islande, c’est bien sûr l’histoire courageuse de ces marins natifs de Paimpol et de ses environs qui partaient six mois en mer pour pêcher la morue dans les environs de l’Islande, mais c’est aussi l’histoire d’amour (tragique) entre le marin Yann et la belle Gaud. Celle-ci vivait place du Martray, à cinq minutes à pied du bassin du port. Très précisément, une demeure de granit datant du XVIe siècle, avec sa tour en encorbellement et ses meurtrières. Loti connaissait bien l’endroit. C’était à l’époque une pension tenue par les sœurs Richard. L’écrivain y descendait régulièrement, lors de ses séjours à Paimpol. C’est même le cœur du monde paimpolais de Loti. Vous retrouverez facilement le bâtiment: son rez-de-chaussée est désormais occupé par un salon de coiffure. L’auteur de Madame Chrysanthème le décrit aussi, sous le nom d’Hôtel Pendreff, dans un autre roman, Mon frère Yves, inspiré de la vie de son ami, le quartier-maître Pierre Le Cor: «Une ancienne maison seigneuriale, à tourelle et à pignon.»
Cet hôtel, il l’avait découvert en 1868, à 18 ans, alors qu’il était aspirant, au cours d’une escale. Dix ans plus tard, Loti note dans son journal : «Notre chambre est une immense pièce de forme irrégulière, voûtée, avec grands bahuts, grandes armoires vermoulues de jadis.» Quant à la place du Martray, elle est ainsi évoquée dans Pêcheur d’Islande : «La place de Paimpol, presque fermée de tous côtés par des maisons antiques, devenait de plus en plus triste avec la nuit ; on n’entendait guère de bruit nulle part. Au-dessus des maisons, le vide encore lumineux du ciel semblait se creuser, s’élever, se séparer davantage des choses terrestres.» Un peu plus loin, il décrit ces «vieux toits racontant leur lutte contre les vents d’ouest, contre les embruns, les pluies, tout ce que lance la mer». Aujourd’hui, ces maisons sont encore présentes. Jusqu’à cette bâtisse de granit et de moellon datant de 1581, toujours sur la place du Martray. Les rues qui y aboutissent comptaient de nombreuses auberges où étaient embauchés les marins enivrés, de gré ou de force. À en juger par les photos de l’époque, elles n’ont que très peu bougé. Ou elles ont changé de nom : rue Pierre-Loti, rue des Islandais… L’église, «et ses ex-voto de marins partout accrochés à la sainte voûte», n’existe plus : elle a été détruite. Il n’en reste que le clocher.
Doux cliquetis inharmoniques
Le poète Yvon Le Men me rejoint dans un des nombreux cafés qui bordent les deux bassins à flot du port de plaisance, sur le quai Morand. Nous avons le choix : Quai-Ouest, Les Chalutiers, L’Époque… On boit sur la terrasse en écoutant les doux cliquetis inharmoniques des voiliers, troublés par le cri des goélands. Ce Lannionais connaît Paimpol comme sa poche. Il me conseille de lire un roman oublié et qui avait connu un succès retentissant: Le Voyage à Paimpol, de Dorothée Letessier, paru en 1981, ainsi que Pâques d’Islande, d’Anatole Le Braz.
Pierre Loti aimait particulièrement les environs de la ville, en remontant vers le nord : «À tous les coins de ces chemins, de vieux calvaires étendaient leurs bras gris ; ils portaient des sculptures naïves, retouchées bizarrement par les siècles.»
En route donc, en direction de la pointe de l’Arcouest, face à l’île de Bréhat. Nous nous arrêtons devant la chapelle Perros-Hamon, dite «des Naufragés», «toute vieille et rongée de lichen», à Ploubazlanec, avec ses nombreux ex-voto et ses «mémoires» des marins péris en mer. Hélas, elle est fermée. Plus loin, c’est la croix des Veuves, érigée en 1714, qui domine la baie de Paimpol. C’est là, sur la falaise, que les femmes attendaient le retour de leur pêcheur de mari, comme le fit Gaud. Ensuite, c’est Pors-Even, où l’auteur de Ramuntcho avait séjourné, la croix de Kergrist, qui apparaît dans Mon frère Yves, l’église de Kérity.
Quelle est l’origine de l’amour porté par Loti à Paimpol ? L’amour de la mer, certes, et des départs. Pas uniquement. Julien Viaud, de son nom d’état civil, était tombé amoureux d’une Paimpolaise, fille d’Islandais, prénommée Célestine. Cette passion sans retour dura quatre ans. Elle lui inspira le personnage de Gaud. Son journal en témoigne. Ils se sont vus pour la dernière fois sous le porche de la chapelle des Naufragés. C’était juste après la parution de Pêcheur d’Islande… Déjà, les goélettes à hunier avaient progressivement chassé les brigantins et autres bricks.
«Le Paimpolais est un marin dans l’âme qui n’a jamais oublié l’aventure des pêcheurs d’Islande. La pêche en 2016, c’est la continuité des Islandais»
Yannick Hémeury
Yvon m’avait recommandé de prendre langue avec un de ses amis paimpolais, Yannick Hémeury, 52 ans, entré dans la marine marchande à 15 ans comme mousse, pêcheur puis patron pêcheur et enfin expert maritime. Trente-sept ans de mer. Il est également vice-président du Comité des pêches des Côtes-d’Armor. L’auteur de « La clef de la chapelle est au café d’en face » m’avait prévenu: «Tu verras, c’est un fort en gueule.» On allait voir.
«Aujourd’hui, la pêche à Paimpol et dans sa région est essentiellement côtière, nous explique Yannick Hémeury. On compte 115 bateaux: chalutiers, coquilliers, caseyeurs… et environ 300 marins. Ici, c’est surtout la coquille Saint-Jacques, l’araignée de mer, l’ormeau, le homard… Économiquement, ce n’est pas un secteur très important, mais culturellement ça l’est! Le Paimpolais est un marin dans l’âme qui n’a jamais oublié l’aventure des pêcheurs d’Islande.
La pêche en 2016, c’est la continuité des Islandais.» Il ajoute, en s’enflammant: «N’oubliez jamais que Paimpol est une ville bourgeoise et prospère, qui ne connaît pas le chômage, et qui a même un lycée maritime. Je voudrais ajouter quelque chose: ici les pêcheurs sont conscients de leur longue histoire et de leur tradition, mais ne sont pas des passéistes. La preuve : ils ont soutenu, contre vents et marées, les projets d’implantation d’hydroliennes, il y a une dizaine d’années, et d’éoliennes dans la baie de Saint-Brieuc, récemment.»
Paimpol a également un Musée de la mer, moderne et qui a su mettre en valeur son patrimoine maritime. Il a pris place dans une ancienne sécherie de morues construite à la fin du XIXe siècle. L’espace réservé aux Islandais est particulièrement riche. On y apprend que quelque 2 000 marins paimpolais ont péri en mer entre 1852 et 1935. Loti avait écrit : «La mer toujours, la grande nourrice et la grande dévorante de ces générations vigoureuses, s’agitant elle aussi, faisant son bruit, prenant sa part de fête.»
Avec France Bleu Breizh Izel
«Et là tout près, la mer toujours, la grande nourrice et la grande dévorante de ces générations vigoureuses, s’agitant elle aussi, faisant son bruit, prenant sa part de fête.»
Extrait de Pêcheur d’Islande
Cet article est publié dans l’édition du Figaro du 26/07/2016. Accédez à sa version PDF en cliquant ici