A la Une / Rochefort / Publié le 03/04/2016 . Mis à jour à 11h00 par David Briand
De dimension impressionnante (1,50 mètre de hauteur), le masque de Pierre Loti a été prêté au musée Hèbre de Saint-Clément pour trois ans. Il a intégré un nouvel espace kanak. © David Briand
80 ans après son départ, le masque kanak de Pierre Loti est de retour dans la ville de l’écrivain voyageur. S’il a été identifié en 2013, On ignore comment Loti l’a acquis
L’histoire vaut à elle seule un roman qui serait mené sous forme d’enquête. En 2013, le conservateur des musées de Rochefort, Claude Stefani, évoque avec le conservateur en chef du patrimoine du musée du quai Branly, Emmanuel Kasarhérou, l’existence d’un masque ayant appartenu à l’écrivain voyageur Pierre Loti (1850-1923). Il est visible sur une photographie prise après 1894 dans l’incroyable « maison monde » aux décors exotiques.
L’objet a été vendu en 1929, six ans après la mort de l’académicien, par son fils Samuel. L’expert l’identifie comme étant un masque donné au musée de l’Homme en 1950 par le fils d’un préhistorien, André Vayson de Pradenne (1888-1939). Était-ce lui qui a acquis le masque ? Impossible de le savoir avec certitude.
Quelles hypothèses ?
Ce n’est pas la plus grande énigme liée au masque. On ne sait pas comment l’écrivain est entré en sa possession. Claude Stefani, qui a investigué, en est réduit à avancer des hypothèses, livrées dans un ouvrage consacré au masque (1).
Le conservateur n’est pas étonné que ce grand masque, haut de 1,50 mètre et constitué de plumes, cheveux et bois humain, ait intéressé l’officier de marine, « à la poursuite d’un rêve exotique dominé par l’attrait de l’ailleurs et du divers », comme il l’écrit en citant Elizabeth Mundibe-Boye.
L’embarras, c’est que Pierre Loti n’a jamais fait escale en Nouvelle-Calédonie. Claude Stefani relate que lors de son premier voyage à bord de la frégate « La Flore », en Polynésie, en 1872, il a bien ramené, « non sans habileté », des objets. Mais de l’île de Pâques, des Marquises et de Tahiti.
Ce masque est « l’illustration de la présence de l’esprit ancestral parmi les vivants »
Autre élément troublant : le masque n’apparaît pas sur une photo datée de 1892 montrant Loti à demi affalé sur une commande dans son bureau. Mais le masque figure sur un autre cliché, sans Loti cette fois. Dédicacé à la date de décembre 1894, un portrait photographique figurant à côté du masque indique que la photo est postérieure à 1894. Si on peut supposer qu’il a été acquis durant cet intervalle, rien ne le prouve de manière irréfutable. « Cadeau d’un ami ? Peut-être… Acquisition de bonne fortune à Rochefort ? Possible », s’interroge Claude Stefani en précisant que Rochefort est « une porte d’arrivée pour les artefacts du monde entier ». Seule certitude : Loti a dû être séduit par l’aspect « sauvage » et « primitif » du masque.
Les spécialistes le datent de la première moitié du XIXe siècle. Il est « l’illustration de la présence de l’esprit ancestral parmi les vivants » décrypte le muséologue Roger Boulay. « Le costume se compose d’un visage sculpté en bois, d’un dôme de fibres végétales recouvert de cheveux, et d’un manteau fait d’un ancien filet de pêche auquel on a lié les plumes par petits paquets », explique Emmanuel Kasarhérou.
Le musée du quai Branly, qui dispose de la plus importante collection mondiale de masques kanaks avec 16 spécimens, a prêté celui de Loti pour trois ans.
(1) « Le Retour du masque ». Éditions L’Étrave. 10 €. Disponible au musée.