Association Pierre Loti à Paimpol : Lectures croisées à Lann Vras le 26 juillet 2019 – Interventions de Pierre Kerlévéo, président, lues par Émilie Desouche

Textes rassemblés et  clichés de Yves Nicolas président d’honneur de l’Association internationale des amis de Pierre Loti

 

03- 26 07 19 Lann Vras, lectures croisées, Émilie Desouche lit Pierre Kerlévéo

Intervention d’accueil
Chers amis,
Bienvenue à chacune et à chacun. Merci de votre présence sur ce site, l’un des plus beaux de Bretagne, autour des Veuves d’Islandais, la statue de Francis Renaud, reproduite par Charly Sallé en mémoire des marins de ce pays qui ont affronté la mer d’Islande de 1852 à 1935. Des héros. Merci à Mme le Maire, à la municipalité de Ploubazlanec et à J Balcon pour leur aide et leur efficacité. Merci au musée Milmarin de Ploubazlanec, que je vous invite à visiter, pour son soutien et son précieux partenariat. Un amical salut à Yves Nicolas qui représente l’Association internationale des amis de Pierre Loti.
Une fois encore, Pierre Loti nous rassemble autour de ce qu’il a écrit de la grande guerre. En novembre dernier, notre association a préféré attendre les beaux jours pour commémorer ici le centenaire de l’armistice. Avec vous, chacune de nos familles a été marquée par cette tragédie.
Pierre Loti, malgré son âge, a voulu s’engager, et écrire. Il dénonce les atrocités allemandes et les horreurs du conflit. À ces pages admirables, nous avons voulu ajouter un témoignage différent, celui d’un enfant d’ici. Né à Ploubazlanec en 1890, il y a cultivé la terre de ses ancêtres. De son ouvrage, Sur la route de la maison, il raconte sa guerre, sa captivité et son évasion. Vous allez découvrir son récit mais surtout un message de dignité humaine. Il s’appelait Michel Lec’hvien.

04- 26 07 19 Lann Vras, lectures croisées, vue générale

 

Lectures croisées à Lann Vras

26 juillet 2019

L’Association Pierre Loti à Paimpol a organisé, le vendredi 26 juillet 2019, une lecture croisée d’extraits de deux livres choisis pour célébrer le centenaire de l’armistice de 1918, les uns du livre Soldats bleus, de Pierre Loti, les autres de l’ouvrage War hent ar gêr – Sur la route de la maison, de Michel Lec’hvien, soldat natif de Ploubazlanec, commune sur laquelle eut lieu cette lecture, devant la statue à Pierre Loti « Veuves de marins », sur l’exceptionnel site de Lann Vras.

Pendant près de deux heures, des adhérents de l’association ont ainsi présenté deux visions de la même guerre ; Pierre Loti s’attachant aux combats dans les Dolomites et au rôle des femmes pendant le conflit, Michel Lec’hvien, agriculteur, narrant sa captivité, son évasion et son retour à la maison.

Pierre Kerlévéo, président de l’association, avait préparé mot d’accueil et conclusion. Parti accueillir son fils, rapatrié sanitaire de Chine, il en confia la lecture à Émilie Desouche.

Orchestrés par Annie-Claude Bellini, voix off, six lecteurs se relayèrent pour animer les textes : Yves Ballini, Émilie Desouche, Yves Paindestre, Nelly Souquet, Yves Tricault et Marie-Claire Morin, petite-fille de Michel Lec’hvien et éditrice de son livre qu’elle vendait en même temps que les cartes postales de la statue.

Thomas Boucher du groupe Drouad, les accompagnait avec différentes flûtes et des percussions ; ainsi qu’au saxophone.

Le traditionnel moment de l’amitié, autour du cidre, réunit une petite centaine de participants.

 

 07- 26 07 19 Lann Vras, lectures croisées, lecteurs, musicien et auditeurs

 

Association Pierre Loti à Paimpol

Lectures croisées à Lann Vras le 26 juillet 2019

Textes de Soldats bleus lus par Nelly Souquet

 Extrait de Femmes françaises pendant la guerre

Août 1915

Nos femmes françaises, la guerre les a magnifiquement agrandies, comme nos soldats, et, dans tous les mondes, la plupart se révèlent sublimes.

Paysannes à la charrue ou à la moisson, s’efforçant avec un inlassable courage de suffire aux plus rudes besognes, aussi bien les aïeules, toutes ridées et courbées, que les jeunes, apportant parfois aux champs un petit bébé dans ses maillots, qu’elles posent endormi sur l’herbe. Elles labourent la terre, elles fauchent les épis, tout cela pour que le fils ou l’époux, s’il revient de l’abominable tuerie allemande, trouve la petite propriété bien entretenue, en même temps que la maison bien en ordre.

Et, tout en haut de l’échelle — pour parler comme les gens qui admettent encore des distinctions sociales —, les élégantes, même celles qui furent des oisives et des frivoles, aujourd’hui quittent leur luxe ; pour tout donner, elles se privent de ce qui leur semblait essentiel, et elles peinent avec joie à des travaux dont elles se croyaient si incapables !

Dans leur blouse d’infirmière, nuit et jour elles s’épuisent au chevet des blessés, mettant leurs mains blanches à des épreuves naguère bien inattendues, et, devant les obligations les plus répugnantes, elles gardent le joli sourire qui enchante les agonies.

Aux abords des gares par où l’on s’en va sur le front, c’est peut-être là que je les ai vues, plus que partout ailleurs nobles et touchantes, nos femmes françaises, même les plus humbles d’entre elles. Quand, après une courte permission, le mari, en capote bleue glorieusement fanée, s’en retourne là-bas, dans la géhenne de feu, l’épouse vient, avec les enfants, le reconduire ; presque toujours c’est lui, le soldat, qui tient le plus petit à son cou, tout contre sa joue, jusqu’à la minute de l’inexorable départ. Et après l’adieu, qui pourra être le dernier, la femme s’en retourne au logis, fière, avec des yeux de suprême angoisse, mais qui ne veulent pas pleurer.

Pour ce qui est de moi-même, à ces heures grises comme nous en traversons tous, dans le découragement de sentir s’éterniser la guerre, dans la détresse d’avoir ses fils au front, à ces heures, plus ou moins courtes mais inévitables, où il semble que l’on s’affaisse, il m’est arrivé de me réfugier auprès de femmes qui venaient de perdre ce qu’elles avaient de plus cher au monde, un fils unique, et qui traînaient des deuils éternels sous leurs longs voiles noirs. Et c’est encore auprès de celles-là que j’ai acquis le plus de résignation, trouvé le plus de réconfort…

Extrait de Rencontre avec deux vieilles femmes

J’ai souvenir d’une rencontre, faite dans les ruines silencieuses d’un hameau, où beaucoup de giroflées jaunes avaient fleuri, imitant des dorures sur des pans de murailles, et où des lilas faisaient de magnifiques gerbes violettes, dans de vagues enclos qui avaient été des jardinets. Deux vieilles femmes demeuraient là encore, deux vieilles aux cheveux blancs, aux joues creuses, aux yeux hagards, qui semblaient devenues folles. Parce qu’elles n’étaient plus bonnes à rien, les Boches les avaient laissées, — et qui dira ce qu’ont bien pu devenir leurs fils ou leurs filles, qui dira les tortures d’attente, d’angoisse morale, de terreur physique, elles ont enduré, grelottant au fond de quelque cave, pendant deux ou trois hivers, jusqu’au retour des Français ? C’est au bord d’un puits qu’elles m’apparurent, un puits qui sans doute avait, pendant des générations, fourni à leur famille la bonne eau claire. Péniblement, avec une pauvre corde toute raboutie, elles venaient d’en tirer un seau, et elles le flairaient avec méfiance : « Ça pue encore », disait l’une. « Oui, oui, répondait l’autre, ça pue. Jette, va, jette vite. » Ces petites phrases triviales, prononcées avec une morne hébétude, étaient aussi poignantes à entendre que n’importe quelles plaintes… On sait qu’en partant ils avaient eu aussi la délicatesse d’empoisonner les eaux ; dans les poches de leurs prisonniers ou de leurs morts on a trouvé du reste, à ce sujet, les instructions précises de leurs officiers : « le soldat unte, aidé de son équipe, sera chargé des puits ; il y jettera en quantité suffisante du poison, de la crésote, ou, à défaut, des pourritures »

 

09- 26 07 19 Lann Vras, lectures croisées, spectateurs1

 

Intervention de clôture
 
Un immense merci à la belle équipe de nos lecteurs :
.La voix off, Annie-Claude Bellini, l’abbaye de Beauport,
.La voix des femmes d’Islandais, Nelly Souquet qui sait tout sur l’histoire de Ploubazlanec,
.Marie-Claude Morin a été la voix de son grand-père Michel Lervien, dont elle a édité le journal. Elle a fondé les éditions À l’ombre des mots, l’équivalent d’Actes Sud en Bretagne. N’hésitez pas à acheter l’ouvrage et à lui demander une dédicace.
.Les trois Yves : Ballini, Paindestre, Tricault, nous ont restitué la gravité de ces textes : quelle éloquence, quel talent !
.Thomas Bocher les a accompagnés : il joue de tous les instruments et sa musique est si belle que vous pourriez l’inviter à animer vos réunions de famille, d’associations.
Ici même, le samedi 10 août à 16 heures, notez la date, Gaultier Roux, professeur de littérature française à l’université de Shangaï, nous fera l’amitié d’une conférence : Pêcheur d’Islande et Pâques d’Islande. Ce sera une passionnante étude entre les œuvres de Loti et de Le Braz.
Enfin, notre association a édité une carte postale représentant cette statue et illustrée magnifiquement par Évangéline Quella-Villéger, fille du biographe de Pierre Loti, Alain Quella-Villéger. Émilie vend cette carte pour un euro.
Il est temps de partager le cidre de l’amitié, d’échanger, de méditer ce que Michel Lec’hvien nous confie : Pourquoi la guerre qui arrache les hommes à leurs foyers, à leurs travaux ? La guerre ne règle rien, mais plutôt entretient une certaine rancœur. Quand donc les pacifistes sincères seront-ils les plus nombreux pour parvenir à faire entendre leur voix ?
Belle soirée !

 

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