A Paris pour la commémoration du centenaire de la première guerre mondiale, le roi Mohammed VI et le prince héritier Moulay El Hassan se sont affichés en selhams. Retour sur l’histoire de cet habit emblématique du vestiaire nord-africain.
Pièce emblématique du vestiaire nord-africain, les origines du selham (également appelé « Burnous », de l’amazigh « Abernous ») font débat. Tandis que certains défendent son amazighité, d’autres soutiennent que le burnous serait d’origine romaine. Il s’agirait de la cape ou de la toge romaine, adoptée (et adaptée) par les Amazighs après la conquête romaine de l’Afrique du nord.
Quoi qu’il en soit, le selham a longtemps été un manteau typiquement amazigh, réalisé en laine épaisse de dromadaire, de mouton, voire de brebis, adapté aux basses températures des hautes plaines. A l’arrivée des arabes, le selham rejoint le vestiaire arabo-musulman et s’enrichit de nouvelles broderies et ornements, se prépare avec des tissus plus légers, et recouvre dorénavant une nouvelle fonction, celle d’habit d’apparat. C’est donc tout naturellement qu’il rejoint le vestiaire régalien et devient un symbole du pouvoir : c’est le vêtement que les rois du Maroc portent lors des cérémonies. La description par Pierre Loti, en 1889, de Moulay Hassan mettait l’emphase sur un « voile de mousseline » recouvrant le sultan. Il est possible que le burnous du sultan ait été confectionné avec du sousdi, et non de la mousseline, la confusion étant fréquente entre les deux.
Un habit fonctionnel
Le selham d’hiver, réalisé en laine épaisse, recouvrait un usage plus fonctionnel. C’était l’habit des Spahis nord-africains engagés dans la première guerre mondiale. Mal équipés, mal vêtus, les Spahis marocains se sont taillés leur burnous dans les couvertures marron et kaki de l’intendance pour se protéger du froid durant la campagne d’Orient, en 1917. La couleur des selhams a fait l’objet d’un désaccord avec l’armée française : les Spahis marocains ont refusé le selham rouge garance qui leur a été proposé par l’armée française, lui préférant le bleu. L’armée française finira par leur fournir des selhams bleus, offrant une plus grande ouverture au niveau du torse, tirés vers l’arrière pour ne pas gêner les mouvements des cavaliers.
Au fil de ces multiples utilisations, selon les besoins dictés par différents contextes, le selham d’hiver a bénéficié de multiples restylisations ; mais est longtemps resté un habit masculin, symbole de pouvoir, de virilité. Ce n’est que durant les années 1970 que le selham rejoint la garde-robe féminine grâce à Yves Saint-Laurent, qui l’a embelli d’éléments puisés dans la cape occidentale : attaches-brandebourg, silhouettes plus minces, coupes plus courtes, etc. Des stylistes marocains comme Karim Tassi ont également contribué à moderniser le Selham, l’adaptant à un porter plus élégant.
Mille et un selhams
Connu pour leur savoir-faire, les artisans de Figuig ont acquis une renommée pour leurs selhams. Les tailleurs d’El Jadida et de Ouezzane bénéficient également d’une respectable réputation en la matière.
Parmi les tissus avec lesquels le selham d’hiver est confectionné, la Mlifa (mélange de laine et de cachemire), le Oubar (laine de dromadaire). Traditionnellement, le selham d’hiver est coloré avec une teinture naturelle. Dans la région de l’Oriental, il est de couleur orange. Quant au selham d’apparat, il est généralement réalisé en sousdi, parfois mélangé avec du satin ou de la soie.
En dehors de la version d’apparat, qui est privilégiée pour les grandes occasions, le selham d’hiver est quelque peu tombé en désuétude, les Marocains lui préférant d’autres vêtements traditionnels pour l’hiver (jellaba).
La récente photo du roi, drapé d’un selham noir, et du prince héritier en selham gris pourrait initier un regain d’intérêt envers cette pièce vestimentaire. Mohammed VI a rarement été vu en selham, contrairement à Hassan II, qui le portait souvent. L’une de ses photos les plus connues le montrait drapé d’un selham vert foncé, sur une jellaba un ton plus clair, coiffé d’un tarbouch rouge. Un exercice d’harmonie chromatique…
Reda Zaireg
Yabiladi.com
https://www.yabiladi.com/articles/details/70910/paris-selham-burnous-spahis.html
Et pour en savoir plus:
* Nous vous conseillons de lire (ou de relire) “Au Maroc par Pierre Loti”.
Dans ce récit détaillé, publié en janvier 1890, Pierre Loti raconte le périple qu’il a effectué d’avril à mai 1889 de Tanger à Fès, et au retour de Meknès à Tanger.
Il avait été choisi par Jules Patenôtre, jeune ministre plénipotentiaire – grand admirateur du talent d’écrivain de Pierre Loti – pour l’accompagner au cours d’une importante mission diplomatique. L’écrivain voyageur, qui avait déjà visité beaucoup de pays, notamment la Turquie, le Sénégal, le Japon, Tahiti…, n’a pas hésité à acquiescer à sa demande, et son récit montre qu’il a été émerveillé par la découverte du Maroc.
* Nous vous conseillons de lire également (ou de relire) dans la remarquable Biographie “Pierre Loti le pèlerin de la planète “ d’Alain Quella-Villéger (Edition Aubéron – octobre 1998 ) l’analyse détaillée qu’il fait du récit Au Maroc de Pierre Loti , et qu’il a intitulée “Une ambassade au Maroc (pp.157-170).
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