Agnès Jarry-Lacombe, avec la collaboration de Bernard Logre
Dès le début de la Première Guerre mondiale, Pierre Loti devint agent de liaison dans l’armée de terre. A ce titre, il rencontra par deux fois le roi Albert 1er et la reine Elisabeth en Flandre occidentale, cette région de Belgique où, au cours des tout premiers mois de la guerre, les combats furent décisifs pour empêcher la progression des troupes allemandes vers la France. Pendant les quelques jours où il sillonna cette région en 1915 et 1917 il sut, par ses incomparables talents d’écrivain, décrire les régions dévastées, le courage des soldats au combat et de tout le peuple belge, sans oublier le charme de la reine…
Cliquez : Dans la Belgique en guerre, Pierre Loti rencontre la famille royale
Notre voyage s’est déroulé en deux temps distincts : Quatre jours consacrés à la rencontre des lieux évoqués par Pierre Loti et les trois derniers à la découverte ou redécouverte des perles flamandes que sont Bruges et Gand.
Dix-neuf personnes ont participé à ce voyage. De Dunkerque, notre point de ralliement, nous avons gagné la Belgique toute proche. Commencé à La Panne, lieu de résidence de la famille royale pendant toute la guerre, notre périple nous a conduits les jours suivants, pour la partie purement « lotienne », à Nieuport et Dixmude, puis à Furnes et enfin à Ypres.
A chaque étape, une évocation particulière de la guerre :
A La Panne, c’est le couple royal qui fut mis en avant, le roi Albert 1er pour sa résistance forcenée à l’envahisseur allemand et la reine Elisabeth pour son active participation aux soins des blessés ; A l’occasion du centenaire de la première guerre mondiale, des panneaux jalonnant la digue de bord de mer ont été installés et rappellent ces hauts faits. Devant le panneau sur les « villas royales », la lecture d’un texte de Marie-José de Belgique, fille d’Albert 1er et de la reine Elisabeth, donna un aperçu de l’atmosphère familiale en ces difficiles temps de guerre. Pierre Loti fut évidemment évoqué, puisque c’est en ces lieux qu’il rencontra le roi et la reine.
Nieuport, ravagée par la guerre, a été reconstruite à l’identique. En 1938, le Monument au Roi Albert 1er a été édifié en l’honneur de celui qu’on a appelé Le Roi-Chevalier. Sous ce monument, un musée, que nous avons visité, raconte l’histoire de l’inondation des polders, autour du complexe d’écluses du Ganzepoot. C’est grâce à cette inondation que les troupes allemandes furent arrêtées dans leur progression vers la France.
Dixmude revêtait une importance particulière à nos yeux : c’est ici que se sont illustrés les fusiliers-marins français, en octobre-novembre 1914. Loti a plaidé pour qu’ils obtiennent un drapeau qu’ils n’avaient pas…et qu’ils finirent par obtenir. Nous avons pu, à l’occasion de notre présence dans cette ville, rencontrer des membres du Souvenir français en Belgique, qui nous ont guidés dans « le Boyau de la mort », ensemble conservé de tranchées de la Première Guerre mondiale où les belligérants se faisaient face. Ce complexe est le dernier vestige du front belge de la Grande Guerre. Et bien évidemment nous nous sommes rendus ensemble au monument érigé à la mémoire des fusiliers-marins situé au cœur d’un parc de la ville.
Furnes a conservé un riche patrimoine (entièrement reconstruit après la guerre !) datant des 16 et 17èmes siècles justifiant une visite guidée, que nous avons faite. Mais surtout la ville fut un temps le lieu du Grand Quartier Général belge. Le roi Albert 1er avait son bureau à l’Hôtel de ville où il reçut, entre autres, le Président Poincaré. Nous avons visité ce bâtiment richement décoré de cuirs de Malines aux élégants motifs floraux, sans pouvoir toutefois accéder au bureau du roi situé au 1er étage. Cependant, dans une salle consacrée au souvenir de la guerre, des photographies d’époque nous ont permis de visualiser réceptions et mouvements de troupes sur la place de l’Hôtel de ville. Et dans un cadre, nous avons pu voir la Croix de guerre remise à la ville de Furnes en janvier 1920 par le Président Poincaré, venu en Belgique pour la dernière fois.
A Ypres, en découvrant aujourd’hui la magnifique place centrale, on a du mal à imaginer qu’à la fin de la guerre, il ne restait plus une maison debout dans la ville. Quelques obus seulement l’avaient atteinte lorsque Pierre Loti y passa en mars 1915 et écrivit Un soir d’Ypres, texte que nous n’avons pas manqué de lire en ce lieu. Ypres est la ville du souvenir par excellence : les lieux de mémoire sont partout, nous l’avons constaté en faisant une visite guidée de la ville sur le thème « Ypres et la première guerre mondiale » et les cimetières militaires parsèment la paisible campagne environnante. Il faut assister à la cérémonie du Last Post, qui se déroule chaque soir à 20 heures à la porte de Menin depuis 1928, pour comprendre la ferveur qui l’entoure, surtout celle des Anglais et de leurs alliés de l’ex Empire britannique, puisque ce sont eux qui ont payé le plus lourd tribut dans cette guerre autour du Saillant d’Ypres. Les Français furent également présents, dont beaucoup de Bretons, ce qui explique la présence d’un calvaire breton dans le cimetière militaire français de Saint-Charles de Potyze, que nous avons visité avec émotion. Très impressionnant est le cimetière anglais de Tyne Cot, où 11 900 soldats sont inhumés. Des fleurs au pied de chaque tombe, ce serait presque un paisible jardin ! Un petit musée attenant, qui expose des objets personnels ayant appartenu aux soldats, des échanges de courriers remis par les familles, apporte une touche d’humanité à cet effroyable carnage.
Au-delà de ces visites, il y eut quelques moments de « pure détente », comme la visite, à La Panne, du quartier Dumont, malheureusement sous une pluie persistante….Cet ensemble architectural né à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle sous la direction de l’architecte Albert Dumont, est composé de cottages champêtres construits dans le respect du relief dunaire et de l’environnement existant. De spacieuses villas avec vue sur la mer furent construites tout en haut des dunes. Cette visite fut possible grâce à un habitant de La Panne, membre des « Belgian Coast Greeters » qui sont d’enthousiastes habitants du littoral qui font découvrir leur ville aux touristes à leur façon, anecdotes à l’appui.
Il y eut aussi une belle promenade à pied, sous un doux soleil, presque trop courte tant elle fut plaisante, à travers la réserve de Westhoek, site dunaire aux paysages variés situé sur la commune de La Panne…où l’on peut entendre un petit oiseau des dunes appelé « lotier » !
Enfin, la découverte du charmant Béguinage de Dixmude, d’une belle unité architecturale avec ses maisons au toit de tuiles rouges, l’église au bout de sa cour fermée, des fleurs, un beau gazon vert faisant ressortir la blancheur immaculée des murs.
A la suite de ces journées quelques peu « studieuses », avec conférences, lectures (cliquez : Quelques textes autour des voyages de Pierre Loti en Belgique de 1915 et 1917) et visites de nombreux sites de guerre, nous nous sommes accordé quelques jours de détente, en prenant la route pour Gand et Bruges.
Entre temps libres et promenades, chacun a pu profiter des merveilles architecturales et picturales qu’offrent ces deux villes à foison. Par exemple, à Gand l’ancien port de commerce, bordé de part en part de splendides maisons des puissantes corporations de l’époque, le polyptique de « l’Agneau mystique » de Jan Van Eyck dans la cathédrale Saint-Bavon, à Bruges les maisons bordant le Dijver depuis notre promenade en canot, le Béguinage et les tableaux des primitifs flamands, nous ont laissé de puissantes images dans les yeux.
Avant la séparation des voyageurs à Dunkerque, un dernier arrêt sur la route du retour au musée de Saint-Idelsbad a permis de découvrir un des grands peintres modernes de Belgique, Paul Delvaux, dont la peinture, de caractère surréaliste, n’a pas laissé nos voyageurs indifférents.
En complément, lire l’article de Patrice Morel paru en décembre 2016 dans le Bulletin N°35 de l’Association : « Pierre Loti en Belgique – Le soldat bleu, le roi soldat et la reine bleue »
On peut acheter ce bulletin en cliquant sur le lien : http://pierreloti.eu/?cat=38