Vient de paraître : « Une famille française dans l’Empire ottoman »

Vient de paraître, aux éditions Honoré Champion, un intéressant témoignage historique sur les dernières décennies de l’Empire ottoman et les premières années de la Turquie moderne (v. ci-dessous) : on n’oubliera pas, en lisant ce livre, l’attitude paradoxale de Loti vis-à-vis des chemins de fer, dont il fut et un des contempteurs, et néanmoins un utilisateur régulier.

La Mosquée verte nous le rappelle :

« Une petite fumée apparut, dans le vert infini de la plaine, dans la mer d’arbres étendue à nos pieds, une petite fumée qui serpentait, rapide, s’approchant de nous. Le vieillard me la désigna de la main, d’un geste élargi par l’ampleur de sa robe blanche ; il ne prononça pas une parole, mais son clignement d’yeux, son sourire un peu narquois signifiaient : « Tu connais ça ?… ça vient de chez toi ? »

Hélas, oui, je connaissais ça, et je me mis à sourire aussi de sa moquerie discrète. Le chemin de fer ! le petit chemin de fer à voie étroite qui, depuis une année, relie Brousse à l’un des ports de la mer de Marmara.

— Dans ton pays, si l’on était ainsi sur une hauteur, on en verrait passer beaucoup, je suppose?

— Hélas, oui, mon père…

— Ici, nous n’en avons qu’un seul, oh ! un seulement !… Mais, ajoute-t-il, yetichir ! yetichir ! (Cela suffit! Cela suffit!)

Cela suffit, en effet. Je n’ose émettre cette idée devant lui, mais je trouve même que c’est trop… »

Pierre Loti, La Mosquée verte, in Œuvres complètes, Paris, Calmann-Lévy, s.d., vol. 7, p. 591.

Quant aux ingénieurs du chemin de fer, on les reconnaîtra sans doute dans ce portrait peu flatteur, cette fois dans La Galilée :

« Et il faut voir, parmi ces foules charmantes, les airs à la fois conquérants et protecteurs de quelques imbéciles en veston et chapeau, récemment venus de Beyrouth pour les travaux du chemin de fer ! On sent qu’ils ont conscience de tenir en main le flambeau de la civilisation ; d’apporter, dans cet Orient des Soliman et des Saladin, nos joies occidentales, le charbon de terre, les empressements et les explosifs… »

Pierre Loti, La Galilée, in Œuvres complètes, Paris, Calmann-Lévy, s.d., vol. 7, p. 479.

Gaultier Roux.

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UNE FAMILLE FRANÇAISE DANS L’EMPIRE OTTOMAN

Vie et pérégrinations (1858-1921). Édition établie, présentée et annotée par Chantal Chartier. Préface de Jean-Claude David

CHARTIER ALBERT


Le récit de mémoire d’Albert Chartier retrace les pérégrinations de la famille Chartier dans l’Empire ottoman de 1858 à 1921. Son père, Charles Chartier, ingénieur des Ponts et Chaussées a bâti routes et ponts à Kérassunde, Trébizonde, Erzeroum, Constantinople, Alep, Sivas, Adana. Il est également l’architecte de la Tour de l’Horloge de Bab al-Faraj à Alep. Charles Chartier a ainsi œuvré à la modernisation des territoires ottomans. Récit de voyage et de vécu auprès des populations turque, grecque et arménienne, entre micro-histoire et histoire des peuples, ce texte est aussi un témoignage sur les massacres des Arméniens. Il trouvera de nombreux lecteurs intéressés par la période ottomane, la montée du nationalisme turc à l’aube de la naissance de la Turquie kémaliste et la persistance des tensions communautaires et religieuses.

L’auteur, Albert Chartier (1881-1970), ingénieur des Arts et Métiers, est né à Kérassunde (Giresun), dans l’Empire ottoman. Fils de Charles Chartier (1853-1922), ingénieur des Ponts et Chaussées au service de l’Empire ottoman, et d’Angélique Costa Starko, il parlait le français, le turc et le grec. Après la Première Guerre mondiale, démobilisé en 1920, il rentra s’installer en France, où il poursuivit sa carrière d’ingénieur.

Chantal Chartier, qui a réalisé cette édition, est maître de conférences. Elle a enseigné à HEC et à l’Université Paris-Est Créteil.

 Une famille française dans l'Empire ottoman