L’Orthézien Francis Jammes, à prononcer comme flammes

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HISTOIRES D’ICI ET LÀ L’Orthézien Francis Jammes, à prononcer comme flammes

Le poète, amoureux de nature, de campagne et d’animaux, ermite en marge de la vie littéraire et mondaine aura néanmoins laissé une œuvre profonde et encensée par la critique

« Par le petit garçon qui meurt près de sa mère / Tandis que des enfants s’amusent au parterre / Et par l’oiseau blessé qui ne sait pas comment / Son aile tout à coup s’ensanglante et descend / Par la soif et la faim et le délire ardent : Je vous salue, Marie. » Bien sûr que vous connaissez ces vers, mis en musique et chantés par Georges Brassens. C’était il y a longtemps, dans les années en noir et blanc, en 1953. Pour la petite histoire, nous sommes fiers de vous apprendre que le Sétois, particulièrement heureux de sa ritournelle, en avait profité pour y placer un second poème, d’Aragon celui-là : « Il n’y a pas d’amour heureux ». Les deux versions avaient à l’époque connu leur petit succès et les auditeurs n’y avaient vu que du feu.

En revanche, peut-être savez-vous que cette « Prière » est l’œuvre de Francis Jammes, un homme de lettres dont le nom est connu de tous, sans que l’on soit pour autant capable de citer un seul de ses poèmes. Les béotiens l’appellent à tort Francis Jam’s, à l’anglaise, alors qu’il n’y a pas plus Orthézien que lui ; on est donc prié de prononcer Jammes à la française, comme flammes ou oriflammes. Toute autre interprétation orale sera punie du knout et du pilori. Nous ne nous attarderons pas trop sur la vie de Jammes, d’un ennui sans fin, digne d’un bonnet de nuit, encore qu’il faille faire connaissance. Naissance en 1868 à Tournay, recalé au bac de français, « cette période noire comme de l’encre, stérile comme le sol de l’étude », poète dès ses vingt ans, remarqué néanmoins par André Gide et Paul Claudel, sans pour autant connaître le succès populaire.

Il faut dire que notre ermite entend se situer en marge de la vie littéraire et mondaine, et même de la vie tout court. Il professe dans ses poèmes une existence proche de la nature, de la campagne et des animaux, entouré de gens simples, tels les habitants d’Orthez, alors dans les Basses-Pyrénées, où il va vivre trente-trois ans. Il écrit : « Cette vie est très douce, continue, simple (…) Je suis dans ma chambre. Ma chienne fidèle dort à mes pieds. Tout est calme autour de moi et je me sens très isolé. Je vais allumer ma pipe et songer doucement… Cette solitude me donne une âme très simple et très compliquée. » Ses premiers écrits, qui parviennent à Stéphane Mallarmé et Henri de Régnier sont loués pour leur sincérité et leur délicatesse et lui valent d’être reçu par Pierre Loti en sa villa biarrote, tandis que Régnier lui propose de collaborer au Mercure de France, alors la revue intellectuelle de référence.

Autant rompre les codes et lancer son propre manifeste littéraire, le « Jammisme », dans lequel de façon satirique il fait l’éloge de la vérité poétique, du moins la sienne. Surprise, il est pris au sérieux dans le milieu parisien, qui le dépeint « enfoui dans l’ombre très vieille d’une petite ville arriérée » (Charles-Louis Philippe) comme « un vieux petit Chinois exilé chez nous, ridicule et charmant. » (Adolphe Retté). En fait de vieux Chinois charmant, Jammes est en plein doute spirituel, et convaincu par Claudel, revient à la foi et publie des vers imprégnés de catholicisme, dans Les Poèmes mesurés, La Brebis égarée et Les Géorgiques chrétiennes. Le succès est enfin au rendez-vous. La jeune génération trouve en lui un maître et le surnomme « le Cygne d’Orthez », tandis que ses poèmes sont traduits en espagnol, en allemand, en tchèque et en russe. Lui continue sa routine campagnarde, lesté désormais de sept enfants et part s’installer à Hasparren.

C’est là qu’il écrira ses Livres des Quatrains, en reclus, laissant une vigne vierge grimper sur son portail dans le but de décourager le visiteur. Et qu’il décède en 1938. Depuis, sa mémoire est sublimée par l’Association Francis Jammes, siégeant à Orthez à la Maison Chrestia, où vécut le poète et qui réédite périodiquement son œuvre, tout en éditant plus d’une cinquantaine de bulletins à lui consacrés. Aujourd’hui dans notre pays, on dénombre 55 rues et 2 squares portant son nom, preuve qu’un ermite provincial vivant dans « une ville arriérée » peut devenir une sacrée référence littéraire. Que les futurs écrivains de nos contrées en prennent de la graine.

Et souvenez-vous : Jammes, comme flammes…
Dominique Padovani