Pour comprendre pourquoi la photographie orientaliste remporta un si grand succès au XIXème siècle et au début du XXème, il est nécessaire de nous transporter quelques décennies plus tôt, quand les hommes commencèrent à voyager pour le plaisir et non pour la conquête.
Le Grand Tour ou la naissance du « Tourisme »
Au milieu du XVIIIème siècle, nombre de gentilshommes anglais entreprennent la visite de Constantinople, point de conclusion de leur découverte des principaux pays du nord du bassin méditerranéen, découverte généralement limitée à la France, l’Italie, l’Espagne, la Grèce et la Turquie.
Les plus aisés s’attachent alors les services de peintres chargés d’immortaliser le souvenir de leurs voyages, privilégiant les paysages, les scènes de rues, les monuments, les costumes, voire, si la chance leur sourit, des moments de la vie intime et familiale des autochtones.
On estime à plus de 150 le nombre d’artistes qui visitent Constantinople à cette époque et en rapportent dessins et tableaux.
Bien évidemment, les Français ne sont pas de reste et, en 1762, l’Ambassadeur de France auprès de la Sublime Porte accueille le peintre Antoine de Favray (1706-1791) qui, après neuf ans de séjour, rentre les bagages chargés de toiles orientalistes.
En 1799, le retour d’Égypte de Napoléon Bonaparte et la publication des dessins de Vivant Denon sublimant l’Égypte ancienne provoquent un véritable courant « égyptomaniaque ».
Cet engouement incite les Romantiques à se lancer sur les traces des archéologues pour se jeter dans le rêve que font naître les images de cet Orient riche et mystérieux.
Partir à la découverte des lieux qui ont vu s’épanouir notre grande civilisation méditerranéenne devient incontournable à qui souhaite se prévaloir d’être intellectuel, cultivé et esthète, et indispensable à celui qui désire briller dans la bonne société.
C’est vers 1830 que ces premiers longs voyages sont entrepris, le plus souvent à deux ou trois voyageurs.
A cette époque peu de femmes tentent l’aventure, ce qui rend le témoignage de celles qui y participent d’autant plus intéressant ; la vision féminine étant souvent bien plus subtile et riche en détails que celle de leurs compagnons.
La durée du voyage pouvant aller jusqu’à six mois, le coût financier, la méconnaissance des langues étrangères, les risques de maladies ou les agressions redoutées rendent l’expérience périlleuse et peu nombreux sont ceux qui se lancent dans l’aventure, aussi tentante soit-elle.
Le prestige dont bénéficient les téméraires qui entreprennent le voyage n’en est alors que plus grand, d’autant que les récits rapportés prennent toute leur dimension féerique dans la bouche de celui qui y est allé.
C’est à cette période que le terme « Grand Tour » apparaît et conduit ces nouveaux aventuriers à travers les vestiges et l’histoire de l’Italie, la Grèce, la Turquie, la Syrie, le Liban, la Palestine pour finir en Égypte, voire parfois en Afrique du Nord si la disponibilité, les finances et la santé des « Touristes » le permettent.
Dès la deuxième moitié du siècle, l’évolution des techniques favorisée par le développement industriel va largement faciliter l’accès aux voyages grâce à la maîtrise de la navigation à vapeur et au développement intensif du chemin de fer.
Apparition des premières agences de voyages organisés
En moins de cinquante ans, faire le Grand Tour attire de plus en plus de candidats et on voit fleurir les premières agences de voyages organisés qui proposent à une nouvelle clientèle des périples clés-en-mains.
L’Angleterre prend une longueur d’avance sur ses concurrents en exploitant ce nouveau créneau et, grâce à l’agence Cook, « exporte » dès 1845 ses meutes déferlantes de visiteurs, hélas aussi peu soucieuses de la préservation des sites que du respect des autochtones.
Parallèlement, certains de ces derniers s’improvisent guide, proposent leurs services et font visiter les sites antiques dans la plus parfaite anarchie et dans l’inconscience totale des dégâts que ces vagues soudaines de curieux engendrent.
Un Orient fantasmé source de désillusions ?
Comme il est souligné dans maintes analyses portant sur ce sujet, la découverte de cet Orient fantasmé sera aussi l’objet de grandes désillusions que nombre d’écrivains voyageurs exprimeront dans leurs ouvrages.
Parmi eux, certains garderont une partie de leurs rêves et s’attacheront à ne décrire que ce qui leur a été agréable, d’autres feront une analyse la plus objective possible, d’autres enfin décriront sans complaisance, parfois avec une certaine amertume le long et inexorable déclin de “leur Orient” à l’instar de Pierre Loti qui fustigera avec violence dans « La mort de Philae » les aberrations et les méfaits du tourisme moderne.
À suivre…
https://lepetitjournal.com/istanbul/riches-heures-photographie-stambouliote-1ere-partie-324623