par Amélie Kroell
En France, 2 000 bâtiments historiques seraient en péril absolu et un quart des monuments protégés mériteraient des travaux de rénovation… Chargé d’une mission de sauvetage du patrimoine par Emmanuel Macron, Stéphane Bern déploie un plan de bataille pour mobiliser les Français autour de l’urgence. Si le succès du loto du patrimoine prouve leur intérêt pour cette cause, c’est “une goutte d’eau” au regard de l’ampleur de la tâche !
Le loto du patrimoine, un succès.
Le Loto du patrimoine a engrangé 30 % de mises en plus par rapport à un tirage classique, selon la Française des jeux (FDJ) : c’est un véritable succès et Emmanuel Macron souhaite renouveler l’opération chaque année avec la journée du patrimoine.
Il y a encore quelques mois les esprits chagrins prédisaient l’échec de cette forme de mécénat populaire, qui existe pourtant depuis longtemps dans des pays comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Quant à Stéphane Bern, il se plaignait du peu de coopération des représentants du ministère de la Culture. Finalement l’opération a dépassé les espoirs. Le jackpot de 13 millions d’euros a été remporté par un joueur de Haute-Garonne et 3,5 millions d’euros iront aux 270 sites en péril et plus particulièrement aux 18 “emblématiques” sélectionnés par Stéphane Bern.
Ce loto comprend également un jeu de grattage. Douze millions de tickets à 15 € ont été mis en circulation, 10 % de la mise sera rétrocédé pour la cause patrimoniale.
Les futures recettes, estimées entre quinze et vingt millions d’euros selon la FDJ, viendront abonder un fonds spécial, dont la gestion a été confiée à la Fondation du patrimoine. Cette dernière a également récolté directement six millions d’euros auprès de particuliers qui ont choisi de soutenir un des projets de la liste des monuments retenus. Enfin, Stéphane Bern espère doubler la somme avec le mécénat d’entreprise et compte trouver d’autres sources novatrices de financement.
Une “politique à deux vitesses” ?
C’est bien peu au regard des besoins qui sont énormes puisqu’il “faudrait deux milliards d’euros pour sauver les 2 000 monuments” identifiés par la mission Bern, a estimé Guillaume Poitrinal, président de la Fondation du patrimoine.
Alors que le gouvernement annonçait qu’il s’engageait pour cinq ans à “sanctuariser” une enveloppe annuelle de 320 millions d’euros dédiée à la conservation des biens, publics ou privés, on apprenait que l’Etat prévoyait d’allouer 466 millions d’euros à la seule restauration du Grand Palais !
Pour Stéphane Bern, “c’est une somme disproportionnée (…) pendant ce temps, on me laisse me décarcasser pour trouver vingt millions d’euros pour le patrimoine dit “vernaculaire”, lavoirs, calvaires ou églises non classées des petites communes”.
Une politique de conservation plus cohérente, c’est ce que souhaite le député LR Gilles Carrez, rapporteur spécial du budget Patrimoine, déplorant “une quinzaine de millions de plus d’un côté claironnée dans l’enthousiasme, et en même temps une cinquantaine de millions de moins constatée dans l’indifférence”.
Même si les fondations privées et le mécénat d’entreprise remplissent leur rôle dans ce domaine si important pour l’attractivité touristique du territoire, cela ne suffit pas.
Comment en est-on arrivé là ?
Parmi les 44 000 édifices et jardins classés ou inscrits “Monuments historiques”, seule une infime partie de cet ensemble (3 %) appartient à l’État. Tout le reste est à la charge des propriétaires privés et des collectivités territoriales, la préservation du patrimoine local ayant été transférée aux Départements lors des lois de décentralisation. Or, ces mêmes Départements ont dû resserrer leur budget, notamment lorsqu’ils ont dû financer le RSA, en 2007. Le patrimoine a été dès lors laissé pour compte.
“La France est “le pays le plus visité au monde, avec 89 millions de visiteurs” par an.”
Les principales menaces pour la préservation du patrimoine
Pour Alain de la Bretesche, président de la Fédération Patrimoine Environnement, “la multiplicité des acteurs du financement, à savoir l’État, la Région, le Département, les collectivités locales et les financements privés, complexifie la tâche de tous ceux qui s’attèlent au sujet. La mise en place d’un nouveau maillage territorial avec les intercommunalités nuit d’une certaine façon à la préservation du patrimoine 1”. Si le maire d’une petite commune a tendance à vouloir sauver l’église de son village, dans une intercommunalité les préoccupations sont différentes d’autant que les édifices religieux sont très nombreux !
Autre motif d’inquiétude pour Stéphane Bern, la loi ÉLAN2 en matière d’architecture. Elle permettra, selon lui, “de détruire des quartiers entiers, protégés, sous prétexte qu’ils sont vétustes et dégradés ” car elle prévoit d’assouplir les règles de rénovation en rendant les avis des Bâtiments de France non contraignants. Les 180 architectes des bâtiments de France (ABF) étaient souvent vus comme des empêcheurs de construire !
Si les rédacteurs du texte évoquent une simplification des procédures, les ABF font valoir l’intérêt de leur avis pour la sauvegarde du patrimoine “un dialogue avec les maires qui sert de garde-fou (…) Si la loi passe, les élus se poseront ils encore des questions ? ” s’interroge Fabien Sénéchal, président de l’ANABF.
« Le patrimoine est une véritable mine d’or »
Stéphane Bern remarque que grâce à ses richesses patrimoniales la France est “le pays le plus visité au monde, avec 89 millions de visiteurs ” par an. Il faudrait donc prendre en compte les retombées économiques que génère le patrimoine. La FédérationPatrimoine Environnement milite même pour que le ministère du Tourisme soit rattaché à celui de la culture. Les touristes viennent pour voir, nos églises, nos cathédrales, nos châteaux, nos monuments, nos ponts, nos villages. On estime à cinq cent mille le nombre d’emplois directement lié à ce type de tourisme. Pourquoi ne pas reprendre l’idée émise il y a dix ans par Christine Albanel, alors ministre de la Culture, de créer une taxe sur les nuits d’hôtel de luxe pour alimenter un “fonds” qui permettrait de financer la restauration du patrimoine ?
Le patrimoine, une passion française
La mobilisation des passionnés permet aussi de sauver les édifices en péril, ils font de plus en plus appel à des plateformes de financement participatif. Le château de La Mothe-Chandeniers dans la Vienne, ravagé par un incendie en 1932 et abandonné depuis à la végétation, a fait le buzz sur internet. L’idée de lancer une campagne de crowdfunding pour le sauver a été impulsée par l’association les Amis du château de La Mothe-Chandeniers. Elle a fait appel à la plateforme de financement participatif Dartagnan, dédiée au rayonnement et à la préservation du patrimoine culturel en France, et au réseau Adopte un château, qui défend la cause des châteaux en péril. Les organismes s’étaient fixés un objectif de quatre-vingt jours pour recueillir un minimum de 500 000 euros, somme qui correspondait au prix de vente de l’édifice. En un mois ils avaient réuni la somme ! Le château appartient désormais à des milliers d’internautes (27 910, issus de 115 pays). Une première dans l’histoire du patrimoine français !
De leur côté, les amis de Saint-Pierre de Cazaux avaient bien tenté l’inscription de cette église clunisienne de Laplume, une des plus anciennes du Lot et Garonne, dans la fameuse liste. Ils n’ont pas eu la chance de l’association de sauvegarde de L’église du village de Saint-Pé-Saint-Simon, qui peut désormais compter sur les 11 000 euros récoltés sur le site de la Mission patrimoine. Cela n’a pas altéré leur détermination pour sauver cette belle ruine romane. Ils continuent comme beaucoup d’autres à organiser des concerts et des concours de peinture pour récolter quelques subsides afin de pouvoir accueillir des jeunes bénévoles qui se relaient l’été pour gratter les joints et retailler les pierres. Quant au revenant de Cazaux, qui selon la légende hante le cimetière alentour, il a l’éternité pour lui !
Sur les 2 000 bâtiments en péril identifiés par la Fondation du patrimoine, 269 ont été sélectionnés. Dix-huit d’entre eux ont ensuite été jugés “prioritaires” en termes de restauration, un par région. Parmi eux figurent notamment l’ancien Hôtel-Dieu à Château-Thierry dans l’Aisne, la maison de Pierre Loti à Rochefort, en Charente-Maritime, le château de Carneville dans la Manche, le Fort-Cigogne de Fouesnant, dans le Finistère, le domaine de Maison Rouge à Saint-Louis, sur l’île de la Réunion, la Rotonde ferroviaire de Montabon, dans la Sarthe, l’hôtel de Polignac à Condom, dans le Gers, la maison d’Aimé Césaire à Fortde- France, en Martinique, ou encore la villa Viardot à Bougival, dans les Yvelines.
http://www.lecourrierduparlement.fr/comment-sauver-le-patrimoine/
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