Elle tient la plus ancienne librairie de voyage du monde

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  • Le Télégramme (Quimper)
  • 28 Nov 2021
  • Thierry Charpentier

 Catherine Domain tient Ulysse

Photo T. C. Catherine Domain tient Ulysse, la plus ancienne librairie de voyages au monde (ses homologues, à Barcelone ou Montréal, lui reconnaissent cette maternité). Il y a 45 ans, le 26 de la rue Saint-Louis en l’île, à Paris, abritait une agence de la Société Générale, dont la salle des coffres fut vidée par d’audacieux truands. Au sous-sol, la porte blindée est toujours là, redécorée par Hugo Pratt, regretté parrain de la librairie.

Quatre-vingts ans, dont 50 à la tête d’Ulysse, plus ancienne librairie de voyage de France et du monde : bel alignement de planètes pour Catherine Domain, infatigable globe-trotteuse devenue gardienne du « Cargo Club », rendez-vous antidote au tourisme de masse.

C’est un bateau-livre, un rafiot insubmersible amarré à l’île Saint-Louis, au coeur de Paris. Ulysse, la plus ancienne librairie de voyage au monde, fête ses 50 ans d’existence. Catherine Domain, sa capitaine au long cours, vient de passer son 80e anniversaire. « Je suis allée chez un toubib qui m’a dit que j’avais les résultats d’analyse d’une femme de 40 ans ! », rigole-t-elle en disparaissant au coin d’une étagère ployant sous les bouquins.

« Trois épaisseurs sur chaque étagère »

Dans ses 27 m² de la rue Saint-Louis en l’île, chaque petit pas doit être précautionneux, car il s’agit de cheminer à travers un canyon de guides touristiques avant de se risquer dans un défilé de récits. En quelques mètres, vous aurez voyagé bien plus loin que chaussé de bottes de sept lieues. « Il y a trois épaisseurs sur chaque étagère. Si les gens se mettaient à fouiller, je ne saurais plus où sont les livres ! », explique Catherine Domain, faussement outrée. Bref, mieux vaut la laisser faire. Pour ses clients, elle ira alors dénicher un ouvrage sur l’architecture des jardins en Europe, des cartes aéronautiques du Mali et du Sénégal ou un livre sur « Le Paris des utopies ». Tout est savamment classé par continent, ou par thème. « Voyage est le terme le plus court. En fait, c’est une librairie de documentation sur le monde. Tout sujet qui concerne un pays est classé », explique-t-elle.

« J’ai mis un pied dans plus de 150 pays »

Catherine Domain avait 11 ans quand ses parents l’ont envoyée en pension, en Angleterre. « Ça m’a donné l’indépendance et la curiosité », estime-t-elle. Une bourse d’études aux États-Unis, en 1959, la convainc : « Il faut aller voir partout ». Asie, Amérique Latine, Afrique… « J’ai mis un pied dans plus de 150 pays ». À la fin des années 60, elle s’est dit qu’elle ne pouvait « pas passer (sa) vie à tourner autour du globe. La seule chose que je me voyais vendre, c’était des livres ». À Paris, elle trouve un local, rue Saint-Louis. Elle ouvre « Ulysse » en octobre 1971. Le prix des billets d’avion va bientôt se démocratiser à la faveur des vols charter. Elle est lancée. « Cinquante ans plus tard, j’y suis toujours ! Ce n’est pas très rentable, mais on s’accroche ! ».

« Eh ! Je ne suis pas une agence de voyages ! »

S’accrocher à Ulysse, « ça a été une manière de continuer à voyager », reprend Catherine Domain. L’écrivain Nicolas Bouvier, auteur de « L’usage du monde », deviendra son ami, tout comme Sylvain Tesson, venu s’y documenter sur l’Himalaya. Il y eut aussi l’auteur de bande dessinée Hugo Pratt, qui sera, jusqu’à sa mort, le parrain de la librairie. Mais l’une des plus belles rencontres est peut-être celle d’Hugo Verlomme. En 1993, l’auteur sort son guide des voyages en Cargo. Il consacre une page à la librairie de Catherine. « Suite à ça, j’ai eu plein de coups de fil de gens qui voulaient partir en cargo. Eh ! Je ne suis pas une agence de voyages ! ».

« Du voyage vrai »

Elle râle, mais elle décide d’instituer « le Cargo club », une rencontre, chaque premier mercredi du mois, entre capitaines au long cours et adeptes de voyages hors des sentiers battus. « Du voyage vrai », résume Catherine. Le rendez-vous accueille jusqu’à 200 personnes devant la librairie. « Avec la covid, c’est en sommeil. Mais j’envisage de reprendre en février », confie Catherine, qui taille toujours la route grâce à ses livres adorés et au prix Pierre Loti (*), qu’elle a créé, à Hendaye, il y a quinze ans, pour récompenser les récits de voyage.

* Tous les renseignements sur www.ulysse.fr