«Fenua»: en Polynésie

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« Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait au moins le tour de sa prison ? » fait dire Marguerite Yourcenar au jeune Zénon de L’œuvre au noir. C’est par l’exemple que Patrick Deville répond à la question, tout en la citant en exergue de son 14e roman, ajoutant un nouvel étage à cet édifice en construction de« romans d’aventures sans fiction » intitulé Abracadabra. Une série amorcée en 2004 avec « Pura Vida », à laquelle il manque encore quatre livres.

Après nous avoir entraînés du Brésil jusqu’aux îles Galápagos dans « Amazonia » (Seuil, 2019), il met cette fois le cap sur la Polynésie française, faisant d’abord un saut de puce sur l’île de Pâques depuis le Chili. Des Marquises aux îles Tuamotu, en passant par Tahiti et Bora-Bora, l’écrivain français nous entraîne avec bonheur dans sa quête.

On en conviendra : il est pire prison que ces îles sous le vent. « Fenua » — un terme qui signifie « terre » ou « pays » en tahitien — mélange librement lectures, voyages et rencontres pour reconstituer un espace qui tient à la fois du réel et du livresque.

L’écrivain à la bougeotte quasi légendaire s’engage une nouvelle fois sur les traces de quelques rêveurs d’horizons lointains. À commencer par Gustave Viaud, un médecin qui a été le tout premier à avoir fait des clichés photographiques à Tahiti, qui aura insufflé le goût du lointain à son petit frère Julien, un officier de marine rêveur qui va vite s’inventer un nom et un prénom : Pierre Loti (1850-1923).

Victor Segalen suivait les traces du peintre Paul Gauguin, qui suivait lui-même celles de Loti.

Chez les écrivains de langue anglaise, Robert Louis Stevenson, l’auteur de L’île au trésor,suivait pour sa part les traces Herman Melville, marin à bord d’un baleinier, puis déserteur avant d’être écroué, puis de s’évader de prison et de faire le récit de son séjour chez les Taïpis cannibales et, plus tard encore, de pondre son célèbre Moby Dick (1851), nous dit Deville, lui-même à la poursuite de tous ces fantômes à la fois.

D’île en île, où il séjourne parfois longuement, Patrick Deville revisite aussi ses rêves polynésiens d’enfance, tôt nourris de l’expédition du Kon-Tiki ou de la flibuste ensorcelante de L’île au trésor.

De livre en livre, depuis les cinq romans parus aux éditions de Minuit jusqu’à « Fenua », Patrick Deville a développé sa méthode. Il en parle en long et en large avec Pascaline David dans Le tapis volant de Patrick Deville, un recueil d’entretiens qui paraît par la même occasion. Il y évoque son « enfance immobile » dans l’ancien lazaret sur la rive gauche de la Loire où il a grandi (son père y dirigeait un hôpital psychiatrique), se souvenant de ses rêves de jeunesse déterminants : « C’était d’aller partout et d’écrire des livres. »

« De la même manière qu’il ne suffit pas d’écrire des livres pour être écrivain, devenir lecteur, croit-il, est l’œuvre d’une vie. »

 FenuaPatrick Deville, Seuil « Fiction & Cie », Paris, 2021, 368 pagesLe tapis volant  de Patrick Deville

https://www.ledevoir.com/culture/648333/litterature-francaise-fenua-en-polynesie

Article du journal L’Echo, cliquez sur le titre :

Patrick Deville: « Mon projet littéraire est destiné à être lu de manière posthume »