En ce moment : Le Fantôme d’Aziyadé avec Xavier Gallais au Lucernaire

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À l’afficheCritiques // Le Fantôme d’Aziyadé d’après Pierre Loti avec Xavier Gallais, mise en scène de Florient Azoulay et Xavier Gallais au Lucernaire

Le Fantôme d’Aziyadé d’après Pierre Loti avec Xavier Gallais,

mise en scène de Florient Azoulay et Xavier Gallais au Lucernaire

 sur Le Fantôme d’Aziyadé d’après Pierre Loti avec Xavier Gallais, mise en scène de Florient Azoulay et Xavier Gallais au Lucernaire

© Pascal Gély

 

ƒƒƒ Article de Philippe Escalier

 

L’adaptation d’Aziyadé et de Fantôme d’Orient par Xavier Gallais et Florient Azoulay donne naissance à un spectacle, quintessence des deux écrits de Pierre Loti et source d’une formidable prestation d’acteur.
Assis sur un siège, quasi immobile et noyé dans la pénombre ambiante, Xavier Gallais se transforme en officier de marine. Il n’est pas de meilleure invitation au voyage que les mots chargés de poésie qu’il va nous donner à entendre. Nous voilà sur les rives du Bosphore, arpentant les quartiers de cette capitale d’Orient, conviés à l’histoire d’une rencontre, aussi impossible que passionnée avec une belle aux yeux verts retenue entre les murs d’un harem. Il va falloir conquérir et c’est tant mieux, le grand amour, du moins à cette époque, goûte rarement la facilité. Une fois la bataille gagnée, le marin devra obéir aux ordres et quitter précipitamment Istanbul en se jurant de revenir, ce qu’il fera des années plus tard. Mais, le héros, que l’absence de réponse à ses lettres interrogeait déjà, va découvrir que la mort a fait son œuvre. Devant la triste évidence, l’espérance laisse place à la détermination : tout entreprendre pour retrouver la tombe de l’aimée et laisser libre cours à la nostalgie et au chagrin.
Aziyadé porte témoignage de l’orientalisme, l’un des thèmes ayant passionné le XIXème, tant sur le plan littéraire que pictural. L’Europe se prend de désir pour cette civilisation différente, très idéalisée, où tout est longueurs, langueurs et parfums capiteux généreusement répandus sur de grands fouloirs de soie. Tout est propice au fantasme et à la rêverie dans un univers où le temps semble suspendre son vol. Loti sait parfaitement recréer cette ambiance et dépeindre la vision largement magnifiée de la capitale de l’Empire Ottoman. Ce qui pourrait ressembler à une confession, à une biographie est en réalité un pur récit romanesque à base d’expériences vécues transfigurées. L’écrivain a fait son office et peu importe la véracité des détails, que l’objet du désir ait pu être un homme et non une femme, tout cela est oublié par la grâce d’un récit enchanteur.
L’acteur, ou plutôt devrait-on dire le magicien, avec la force de son verbe, ponctué de quelques rares gestes, nous convie à mettre nos pas dans ceux d’Aziyadé. Il le fait avec une économie de moyens, une précision et une réussite qui forcent l’admiration. Avec un naturel confondant et une aisance provocante, Xavier Gallais, en virtuose, nous fait traverser le Bosphore ou courir à travers les vieilles rues d’Istanbul. Les mystères du texte sont accentués par les envoûtements liés aux variations de la voix, à quelques sons de musiques et autres échos d’ambiance. La mise en scène préparée en osmose avec Florient Azoulay joue sur quelques détails, une note, un geste, une diction particulière. Sa simplicité, sa sobriété contribuent à nourrir l’ambiance qui fait la part belle au rêve et laisse au spectateur, subjugué par le conteur, toute liberté de se mouvoir au sein du texte mystérieux et envoûtant de Pierre Loti.

© Pascal Gély

 

Le Fantôme dAziyadé d’après Pierre Loti
Mise en scène de Florient Azoulay et Xavier Gallais
Avec Xavier Gallais
Composition musicale : Olivier Innocenti
Scénographie et lumières : Luca Antonucci
Costume : Delphine Treanton
Son : Florent Delmas
Construction décor : Félix Baratin
Durée : 1 h 10
 
Du mardi au samedi à 19 h et dimanche à 16 h
Du 11 janvier au 1er mars 2020
Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
01 45 44 57 34 – www.lucernaire.fr

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Titre Fantôme Aiyadé
Critique Gallais
LU / VU PAR
RODOLPHE DE SAINT HILAIRE
Publié le 18 fév . 2020

RECOMMANDATION

BonBon

THÈME

• Vers 1880, à Istanbul, le jeune officier de marine Pierre Loti  évoque et nous conte, tout au long d’un monologue empreint de nostalgie, sa passion exacerbée mais interrompue pour Aziyadé, une sublime  orientale de 18 ans, cloîtrée dans un harem.  Prenant l’habitude de rendez vous secrets, la nuit, dans une barque glissant sur le Bosphore, ils s’aimeront à la folie, alors que tout les sépare ; hélas, obéissant aux ordres,  le séduisant marin devra repartir pour d’autres missions. Pour Aziyadé tout s’effondre : “Tu es mon Dieu, mon frère, mon ami, mon amant ; quand tu seras parti, ce sera fini Aziyadé ; ses yeux seront fermés, Aziyadé sera morte « .

• Pourtant ils s’écriront longtemps, jusqu’à ce que, dix ans plus tard, Loti se souvienne et, conjurant le destin et, fidèle à sa parole, décide enfin de revenir sur les traces de son amour évanoui. Seulement, trois jours ! Trois jours frénétiques, à cheval le long des ruelles tortueuses de l’ancienne « Stamboul », accompagné de la mémoire d’Achmet, son ancien domestique, puis en caïque descendant lentement la Corne d’or…

• Loti court donc après son passé, à la recherche de son aimée, mais jusqu’où ?  La très vieille servante de la belle odalisque, Kadidja la négresse, le sait peut être. Vit-elle toujours ? Severim seni, Lotim !

POINTS FORTS

•  Une grande poésie émane de ce conte oriental, où se mêlent exotisme, couleurs, parfums, sensualité délicatement suggérée et nimbée de mystère… Tout est ici réuni  pour transmettre une subtile émotion. Le texte, recomposé en fait à partir de deux oeuvres de Loti (Aziyadé, publié en 1879 ; Fantôme d’Orient, 1892), sorte d’invitation à un voyage initiatique, est réellement sublime.

• La présence du conteur et de sa voix, suave et charnelle, sont un autre atout du spectacle : on se laisse bercer et entraîner, au fil de l’eau, sur la piste de l’être aimé, malgré des chemins détournés et grâce aux allers – retours de la mémoire.

POINTS FAIBLES

• Une certaine lenteur, voire langueur, qui pourrait ici ou là nous faire perdre le fil…

• On déplore la présence des équipements modernes du conteur sur scène, totalement incongrus ici : à quoi bon – si ce n’est pour souligner lourdement l’actualité du propos ? – deux ordinateurs, un micro articulé digne d’un studio d’un journaliste radio, et pourquoi pas la bonnette et les oreillettes tant qu’on y est ?

• L’excellent Xavier Gallais a-t-il besoin de ces « béquilles », qui abîment la poésie du texte, pour se donner une contenance ? D’ailleurs, dès qu’il se lève un court instant, il est encore meilleur.

EN DEUX MOTS …

Un conte des mille et une nuits sous la plume de l’un des plus grands écrivains voyageurs qui, outre la quête et la reconquête d’un amour interdit, d’une passion perdue racontées au cours d’un monologue ou plusieurs êtres se parlent au cœur de Stamboul, nous donne à voir comment, une fois le rêve évanoui, restent les mots qui nous marquent pour longtemps.

UN EXTRAIT

« Des personnages à turban longent les murs, un groupe de cinq ou six femmes chaussées de babouches qui ne font pas de bruit ; fantômes bleus, rouges ou roses, enveloppées jusqu’aux yeux dans ces pièces de soie lamée d’or. Deux eunuques les précèdent armés de bâtons, les éclairant avec de grandes lanternes anciennes qui font danser leurs ombres sur les pavés et les murs… je me suis égaré au cœur du quartier des harems. C’est là, j’en suis sûr, que la maison du vieil Abeddin va m’apparaître… Je fais éclairer par le fanal de mon coureur, les dessous des balcons aux impénétrables grilles. Derrière ces barreaux de fer, deux grands yeux fixés sur les miens, des prunelles vertes, de cette teinte vert de mer d’autrefois. Aziyadé ! »

L’AUTEUR

• Pierre « Loti » (Julien Viaud de son vrai nom) est né en 1850, et doit son nom de plume (qui désigne une fleur tropicale) à sa maîtresse du moment, une princesse rencontrée lors d’une de ses escales à Tahiti.

•  Sa vie est un roman. Personnage excentrique et haut en couleurs, doté de tous les talents, surtout de celui de séducteur, dandy hédoniste et écrivain voyageur salué par ses maîtres et bien des connaisseurs (de Sacha Guitry à Hugo Pratt), il nourrit tous nos fantasmes. Anti- conformiste et révolté, bourgeois rebelle aux mille vies, il ne cessa de cultiver le paradoxe, puisque cet officier de marine, aventurier au long cours, ne dédaigna pas l’Académie française  !

• L’œuvre de Pierre Loti nous fait voyager sur presque toutes les mers du monde. Ses romans, la plupart autobiographiques, nous emmènent au Sénégal (Roman d’un spahi), au Japon (Madame Chrysanthème, qui inspira l’opéra Madame Butterfly de Puccini ), en Égypte, à Tahiti, en Islande (Pêcheurs d’Islande, qui sont des Bretons !), et dans l’Empire ottoman, bien sûr, mais il reste très attaché à son cher pays basque (Ramuntcho). Il meurt à 73 ans à Hendaye en 1923. La maison-palais qu’il nous laisse à Rochefort est un petit bijou de musée de l’exotisme et des fastes de l’Orient, alors que sa demeure stambouliote reste une destination prisée des touristes en Turquie.