Le Fantôme d’Aziyadé, mise en espace de Florient Azoulay et Xavier Gallais, d’après Pierre Loti

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Posté dans 10 janvier, 2019 dans critique.

 

Le Fantôme d’Aziyadé, adaptation et lecture-mise en espace de Florient Azoulay et Xavier Gallais, d’après  Aziyadé  et Fantôme d’Orient de Pierre Loti

BA8D173A-FC9D-46B0-AE92-2A09E15ADDCBPierre Loti (pseudonyme de Pierre-Julien Viaud), écrivain et grand voyageur, est à lui seul un personnage de roman. Né à Rochefort (Charente-Maritime) en 1850 et mort en 1923, il a mené simultanément plusieurs vies: marin, dandy, écrivain dont les œuvres sont pour la plupart autobiographiques.  Jeune officier de marine en Turquie, Pierre Loti visite pour la première fois ce pays, porte de l’Orient. Un jour, en marchant, il devine, à travers les barreaux d’une fenêtre,  un visage mystérieux et tombe sous le charme de cette jeune femme dont il ne voit que les yeux : «Les prunelles étaient bien vertes, de cette teinte vert de mer d’autrefois chantée par les poètes d’Orient. » Cette odalisque fascinante s’appelle Aziyadé et, à dix-huit ans, vit cloîtrée dans le harem d’un vieux Turc. Alors que tout les sépare, Pierre Loti et elle vont vivre un amour-passion.

Mais le bateau en mission à Constantinople (aujourd’hui Istanbul) doit regagner la France: «La mission française que je commandais, s’achevait. L’ordre de départ était arrivé comme un coup de foudre.» Peu à peu, l’oubli s’installe et Pierre Loti n’aura plus de nouvelles d’Aziyadé : « Pendant tellement d’années, je n’ai rien su d’elle. » (…) « Le temps est parfois un ami. » Et après cette rencontre des mille et une nuits, déjà lointaine, il est saisi par le désir irrésistible de retrouver son amour. Une lettre enfin d’Aziyadé: «Je ne sais pas, Loti, disait-elle, si tu reviendras. » Dix ans après, l’auteur prend le bateau pour Constantinople, traverse pendant trois jours la ville et ses environs, à la recherche de sa bien-aimée :«Bien étrange, en vérité, cette visite, si courte, si froide. Ce pèlerinage auquel, depuis dix ans, je rêvais… »

Dix ans aussi se sont écoulés entre la publication de son premier roman Aziyadé (1879) et Fantôme d’Orient qu’il écrivit suite à la mort de sa bien-aimée et qu’il lui dédia… Elle apparaît comme une suite ou un morceau du puzzle de la vie de l’écrivain, et une passion réelle mais aussi romanesque. Pierre Loti ne cessera d’être au monde, entre imaginaire poétique, rêve et matérialité de l’existence. «Depuis dix ans que les hasards de mon métier de mer me promènent à tous les bouts du monde, jamais je n’ai pu tenir le solennel serment de retour qu’en partant, j’avais fait à Aziyadé.»

Toute son œuvre littéraire et sa vie sont issues de cette alchimie : «Ce rêve angoissant qui, pendant tant d’années, m’avait poursuivi, ce rêve d’un retour à Istanbul toujours entravé et n’aboutissant jamais, ce rêve ne m’est plus revenu depuis que j’ai accompli ce pèlerinage. Ce rêve était sans doute l’appel du fantôme d’Aziyadé, auquel j’ai répondu et qui ne se renouvelle plus. » : «Dans mon enfance, dit-il, je me souviens d’avoir lu l’histoire d’un fantôme qui venait timidement le soir, appeler de la main, les vivants. » Elle traverse ça et là, le voyage intérieur du héros, de Pierre Loti lui-même, et l’espace.

Ces épisodes (réels et fictifs) marquants de l’existence de ce marin hors normes, avec esprit et sensibilité, mettent en résonance sa personnalité, ses tourments intimes et rêveries avec les thèmes chers à son écriture, à son imaginaire: le temps souvent dévastateur, la mort, l’appel de l’ailleurs mais aussi les trésors de la vie, la Nature, la splendeur des monuments, la richesse des créations humaines.

Il y a ici une tension dramatique indéniable mais la voix de Xavier Gallais avec ses multiples registres donne une poésie, une sincérité à cette écriture romanesque, au départ non-dramatique. De ses gestes et regards, naît ici une théâtralité qui nous capte à tel point qu’on en oublie le dispositif scénique. Sobre et intéressant, il oblige pourtant l’acteur à une acrobatie précise. Sur le plateau nu, un micro et de part et d’autre du comédien assis,  deux ordinateurs portables. Moyens technologiques actuels utilisés pour une mise en lecture mais aussi pour une dramaturgie. Xavier Gallais, tel un magicien ou un chef d’orchestre, a l’agilité d’un funambule.

Nous sommes fascinés par la présence de ce corps, assis, animé par des gestes à peine esquissés, tout en retenue mais très intenses, et envoûtés par la musicalité des mots. Et sous le charme quand il évoque couleurs, lumières, parfums et odeurs, bruits de cette ville à la fois féerique et intranquille que laisse jaillir l’écriture simple et si juste, si charnelle et érotique de Pierre Loti. Et que fait danser à merveille la voix du lecteur-comédien. Nous assistons là, à une lecture à la ligne artistique bien définie, à la fois subtile et théâtrale. On se sent  vite soi-même bien loin, là-bas à Istanbul. Au cœur de ce voyage où tout se défait, l’émotion prend corps et nous envahit. Un moment exceptionnel de profondeur,  une écriture  poétique et une histoire mélancolique et merveilleuse.

Elisabeth Naud

Lecture-mise en espace, Théâtre du Temps, 9 rue Morvan, Paris XI ème. T. : 01 43 55 10 88. Le spectacle sera créé au prochain festival d’Avignon.

Le texte est publié aux éditions Les Cygnes.

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