La dessinatrice, ancienne caricaturiste à “Charlie Hebdo”, puise dans les souvenirs d’une enfance à la campagne pour relater ce monde fait d’imaginaire et de liberté.
Après La Légèreté, Catherine Meurisse se replonge dans le vert paradis des amours enfantines dans Les Grands Espaces. Pas de nostalgie, mais un plaidoyer pour la beauté des campagnes sans pesticides ni lotissements, et surtout un retour sensible, drôle et touchant sur son enfance dans le Poitou. Un bol de souvenirs et d’air frais.
Le musée en herbe
« Ce musée a vraiment existé. Nous avions aménagé le grenier avec ma grande sœur au milieu des toiles d’araignées, des souris et de la poussière. Nous avons récolté tout ce que nous pouvions trouver dans la terre : de la caillasse, des fers à cheval, des nids d’oiseau, de très beaux clous rouillés, des pierres sculptées aussi, bref tout ce qui nous amusait et nous émerveillait. Moyennant cinquante centimes, nos parents pouvaient contempler ces inestimables trésors ! Nous faisions payer aussi la récolte des œufs ! Plus tard, nous avons découvert en lisant Le Roman d’un enfant de Pierre Loti, qu’il avait procédé de la même manière au siècle précédent ; son frère était marin et lui ramenait des objet exotiques, des plumes, des nacres, des masques. Avec ma sœur Fanny, nous avions une forte complicité, une relation harmonieuse. J’en ai fait un personnage exclusivement littéraire, une sorte de Mafalda qui apparaît systématiquement avec un livre dans les mains, une enfant avec des goûts littéraires d’adulte : Loti, Zola, Proust… Telle que je la décris notre maison de famille apparaît comme une thébaïde, les livres c’est vrai, étaient très présents dans notre quotidien, nous lisions beaucoup, mais j’ai un peu forcé le trait. Nous vivions aussi au dehors au contact des voisins et des autres gamins de l’école, nous participions aux fêtes, à l’abattage du cochon. Le jardin, la maison, les arbres, les murs de pierre constituaient certes un abri sûr, solide, un rempart contre les dangers, mais un jour on prend conscience que la vie aussi est à l’extérieur… Cela dit, c’est là que je me suis naturellement réfugiée après l’attentat à Charlie Hebdo, le temps de panser ma douleur, de cicatriser. »
Et in arcadia ego
« Oui ça se faisait dans ma région, les agriculteurs épandaient sur leurs champs de maïs ce qu’ils appelaient du sang de nettoyage, des résidus d’abattoir. Ça sent très mauvais. Mes parents ont grandi et vécu à la campagne, mon père était ingénieur dans l’industrie du bois et ma mère, femme au foyer. Ils connaissaient très bien la terre, les plantes, les arbres et savaient parfaitement comment les faire pousser et s’en occuper. Ce n’était pas des militants écolo, mais voir la campagne se modifier à toute allure, les haies abattues pour que les tracteurs puissent passer plus facilement, les champs qui empestent les produits chimiques, les lotissements qui poussent en dépit du bon sens, la disparition des insectes, le remembrement, le productivisme, tout ce cortège d’aberrations leur brisaient le cœur. Ma sœur et moi avons été sensibilisées très tôt à tous ces problèmes et rétrospectivement que je me sois retrouvée caricaturiste à Charlie Hebdo ne doit rien au hasard. Mes convictions rurales, ma hargne envers les ronds-points et les pesticides amusaient beaucoup Charb et Wolinski. Evidemment les pluies n’étaient pas aussi rouges, j’ai demandé à la coloriste Isabelle Merlet d’accentuer le côté fin du monde, ce qu’elle a parfaitement réussi ! Mais c’était très inquiétant quand même et l’odeur était pestilentielle ! »
Le Paradou
« Le “Paradou”, c’était mon petit coin de jardin à moi, celui que j’avais aménagé toute seule, d’abord à la façon Le Nôtre avec des allées symétriques et bien dégagées et puis rapidement à l’anglaise. Au milieu trônait un nain de jardin dont j’ai fait, dans l’album, mon confident émancipateur, ma conscience d’adulte, mon Jiminy Criquet.
J’avais envie et peut être même besoin de dessiner des fleurs. J’aime beaucoup les planches de botanique du XVIIIe et du XIXe siècles, les herbiers dont de nombreux lettrés comme Goethe et George Sand, étaient très friands. C’est un exercice très différent ce que je fais habituellement, j’ai dû m’appliquer, prendre mon temps, oublier mes tics de dessinateur, me concentrer sur la découpe des pétales, c’est très apaisant. La nature c’est aussi la sexualité, les stratégies de séduction complexes des fleurs avec les abeilles, les papillons et autres insectes pollinisateurs. Je voulais évoquer cet aspect et faire un parallèle avec mon propre éveil ou plus exactement celui des autres, car je n’étais pas particulièrement précoce. Mon personnage n’est pas sorti de l’innocence, les sous-entendus, les allusions sexuelles ne sont pas de son fait, le désir ici est dans la tête des autres. Du coup, la toute jeune fille que j’étais ne comprend pas en quoi manipuler des melons, tâter des aubergines, casser des noix ou bien parler du goût d’huître qu’ont les feuilles de bourrache, puisse évoquer autre chose à ses petits camarades. Ce qui provoque pas mal de quiproquo, un ressort comique que j’affectionne. »
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