SUR LES PAS DE PIERRE LOTI EN PROVENCE du 3 au 7 juin 2010

Présentation et compte rendu du voyage par Yves Nicolas

Pierre Loti à Rochefort, Oléron et La Rochecourbon, à Brest, à Paimpol et dans tout le Finistère, à Hendaye, et au Pays Basque ; Pierre Loti à Istanbul, à l’Île de Pâques, à Tahiti, au Japon, en Chine, à Angkor, au Maroc, en Inde, en Iran, en Egypte, en Roumanie et au Monténégro, les lecteurs de ses romans et de ses récits de voyage le savent. La Provence est presque absente de ses livres, à l’exception de Matelot, l’un de ses romans les moins connus, dont le héros est d’origine provençale : « C’était un beau soleil d’un mois de juin méridional dans l’extrême Provence […], l’or de ce soleil au déclin se diffusait partout, jetant sur la nudité des murs, badigeonnés d’ocre jaune, une chaude chaleur […]. Et pourtant, de 1873 à 1891, Loti sera affecté régulièrement à Toulon. Dans le Journal et dans diverses correspondances on le retrouve en 1873 à Vallauris, en 1879 pour la première fois et en 1881 à plusieurs reprises chez Juliette Adam à Golfe Juan, régulièrement chez Jean Aicard à la Garde, avec son ami Léo Thémèze à Cannes, Grasse, Monaco et Marseille, en 1910 encore à Toulon où les insignes de Commandeur de la Légion d’Honneur lui seront remis à bord du cuirassé Patrie. Au cours des années 1970 Daniel Hervé et André Moulis ont accompli le fastidieux travail, retrouvé dans les archives de notre association, de recensement de tous les séjours de Pierre Loti en Provence et sur la Côte d’Azur, souvent au départ et au retour de missions en Méditerranée et en Extrême-Orient. A partir de 1880, lorsqu’il est à Toulon, il loge rue de la République, dans un hôtel garni, Le Phalanstère,qu’il appelle Le Capharnaüm.

Ses deux principaux séjours sont ceux de 1876 et de 1891. De mars à mai 1876 il est embarqué sur La Couronne mais écrit le 24 avril à son ami Plumkett : « Je suis tout le jour au cirque, en compagnie de clowns et de belles demoiselles qui passent à travers des ronds de papier ; j’apprends à faire des facéties, à me tenir debout sur un cheval et à sauter dans des cerceaux. » et à une amie : « Je paraîtrai demain au Cirque Etrusque en clown masqué, revêtu d’un maillot jaune et vert. » La Couronne partira de Toulon le 3 mai 1876 pour Salonique où Loti rencontrera Aziyadé puis vivra avec elle, du 1er août 1876 au 3 mars 1877, à Istanbul, l’aventure que l’on sait. Le 23 janvier 1891 Julien Viaud rejoint à Golfe Juan Le Formidable et arrive le 27 à Toulon pour son plus long séjour dans cette ville, logeant jusqu’au 2 avril rue du Trésor puis, du 28 mai au 22 novembre au Capharnaüm ; rencontrant à diverses reprise Léo Thémèze, Jean Aicard, Paul Bourget et bien d’autres à Toulon, à Cannes, à Marseille, à Golfe Juan, à Aigues Mortes, aux îles d’Hyères…

Vingt amis de notre association, dont notre présidente d’honneur, Christiane Pierre Loti-Viaud, sont partis sur ses pas en Provence du 3 au 7 juin 2010.

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L’Amiral Jacques Marion, notre vice-président retenu à Brest par une impérieuse obligation professionnelle, n’a pu être des nôtres mais a remarquablement et très minutieusement organisé notre séjour à Toulon, il doit en être vivement remercié. Arrivés le 3 juin en fin d’après-midi nous sommes confortablement logés au Cercle des officiers mariniers, bâtiment à l’architecture moderne et fonctionnelle.

Vendredi 4 juin 2010

Chargé par Jacques Marion d’être notre guide pour la journée l’amiral Valère Ortoli nous conduit à la Préfecture maritime où le lieutenant de vaisseau Christophe Pagot, chef de cabinet de l’amiral Préfet Maritime de la Méditerranée, nous présente, avec les plus modernes moyens audiovisuels, les missions et les moyens du service.

Visite commentée de la base navale au cours de laquelle, au Conservatoire des matériels et uniformes du Commissariat de la Marine, l’enseigne de vaisseau Sandrine Mourey, responsable du Conservatoire, a préparé à notre attention et commente une exposition de pièces et de tenues contemporaines de Pierre Loti.

Notre programme comporte la visite d’un vaisseau ; le Charles de Gaulle, est en mer, nous serons reçus sur le Foudre, navire de transport de chalands de débarquement. Philippe Petitdidier, capitaine de vaisseau commandant cette unité nous reçoit à la passerelle puis nous confie à l’un de ses collaborateurs pour une visite détaillée de cet impressionnant bâtiment qui a pour mission d’assurer le transport et la mise à terre, par des moyens amphibies sur une plage non préparée et en zone d’insécurité, un tiers de régiment mécanisé comprenant des chars de combat, des engins blindés et des véhicules divers au moyen de chalands de débarquement transportés dans un bassin intérieur appelé « radier ». Simultanément, il peut transporter, ravitailler et mettre en œuvre quatre hélicoptères lourds et, en même temps, assurer le commandement d’une opération de débarquement, l’hospitalisation et les soins aux blessés.

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Il a été utilisé pendant la guerre de Yougoslavie et lors des deux opérations Licorne en Côte d’Ivoire et Baliste au Liban.

Armé en décembre 1990, long de 168 m, le TCD Foudre déplace ses 11 300 t à la vitesse maximale de 21 nœuds (39 km/h). Son équipage est de 160 marins, il peut transporter 450 hommes de troupe jusqu’à 20 300 km à 15 nœuds. Nous serons impressionnés par le « radier » qui, transportant les chalands au sec, s’enfonce de 3 m sous le niveau de la mer afin de permettre la sortie de ces chalands chargés.

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Longue et intéressante visite de Toulon en début d’après-midi sous la conduite d’Antoine Marmottans, vice-président des amis du vieux Toulon, président honoraire de l’Académie du Var et des Amis de Jean Aicard, historien local d’une érudition sans faille mais qui, malgré l’écrasante chaleur, ne nous fît grâce d’un seul ornement de façade et ne nous accorda pas la moindre halte dans l’une des attrayantes terrasses.

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Après quelques moments de repos Marie-Christine Célérier nous commenta, au musée de la Marine, tout ce qui concernait la Marine au temps de Pierre Loti.

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L’amiral Jacques Marion nous ayant réservé une table au fort Saint-Jean, restaurant du personnel de la Marine, nous avons pu profiter de la douceur de la soirée en bord de mer en compagnie de nos invités :

  • Dominique Amman, président des Amis de Jean Aicard,
  • Yvonne Chabot-Delplace, secrétaire des Amis de Jean Aicard, fille de Maurice Delplace, ancien maire de La Garde et ami de Jean Aicard ; elle possède de nombreuses lettres de Pierre Loti,
  • Jean-Pierre Dubois, conservateur du musée Jean Aicard à La Garde,
  • Le médecin général Bernard Brisou, de l’Académie du Var, auteur d’un article sur Pierre Loti et la mort,
  • Les conjoints de tous nos invités.

Cette soirée permit de fructueux échanges avec Mme Delplace qui promit de nous envoyer les photocopies des lettres de Loti en sa possession et qui tint parole dès la semaine suivante ; aussi avec MM. Amman et Dubois en prélude au colloque du lendemain au musée de La Garde.

Je savais déjà, pour avoir préparé ma communication au colloque, combien l’amitié des deux fut grande, j’en eus là une nouvelle confirmation.

Samedi 5 juin 2010

Ayant trouvé dans les archives de notre association la copie, établie dans les années 1970 par André Moulis, des très belles et nombreuses lettres de Jean Aicard à Pierre Loti et de Pierre Loti à Jean Aicard, j’ai découvert la grande et durable amitié entre ces deux écrivains, amitié non vraiment méconnue des biographes mais dont ils parlent bien peu. Prenant contact avec Dominique Amann, président de l’Association des amis de Jean Aicard, j’appris que cette association allait organiser, un samedi de juin 2010, à La Garde, près de Toulon, dans le jardin de la maison de Jean Aicard, un colloque Jean Aicard en son jardin. Je lui proposai la date du 5 juin qui fut retenue, permettant ainsi notre participation.

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Romancier dont Maurin des Maures est son œuvre la plus célèbre, souvent la seule connue, l’équivalent de Pêcheur d’Islande pour Pierre Loti, Jean Aicard fut aussi poète, essayiste, auteur dramatique et traducteur ; il connut le succès et, le 23 décembre 1909 Pierre Loti, en réponse au discours de réception de son ami à l’Académie française, put affirmer : « c’est le peuple effervescent des campagnes de Provence qui vous a élu pour son barde ».

Le soleil fut de la partie et l’organisation digne du congrès professionnel d’une grande entreprise : grande tente montée dans le jardin pour abriter les nombreux amis de Jean Aicard et la vingtaine d’amis de Pierre Loti venus écouter les huit communications du programme, communications dont la version écrite devait répondre à une très stricte feuille de style ; actes du colloque imprimés à l’avance en édition illustrée et distribués aux participants à la fin de la journée ; apéritif en plein air suivi d’un déjeuner pique-nique avec plateaux repas fournis par les organisateurs ; visite de la maison avec des guides compétents ; pot de l’amitié à la fin de la journée ; le tout gratuitement. Nous aurons à prendre le modèle si, comme l’a, depuis, suggéré Alain Quella-Villéger, nous organisons un jour un colloque sur l’amitié Pierre Loti – Jean Aicard.

Après qu’Antoine Marmottans, notre guide de la veille à Toulon, eut raconté l’histoire de la maison, j’eus l’honneur de présenter, en essayant d’y ajouter un peu d’humour, la première communication sur Jean Aicard et Pierre Loti, deux amis, dont le texte figure au présent bulletin (n°23-décembre 2010). Les autres conférenciers ont tous su capter l’attention du public, certains participants sont restés jusqu’à la fin, qui avaient prévu de partir en milieu d’après-midi.

  • Jean Aicard au temps de la Renaissance par Mickaël Pakenham, professeur honoraire à l’université d’Exeter. Il s’agit de La Renaissance littéraire et artistique, revue d’avant-garde publiée à partir d’avril 1872, dont Jean Aicard fut le gérant.
  • Jean Aicard, initiateur de la poésie du pays natal par Michèle Gorenc, Maître de conférences à l’université du Sud-Toulon.
  • L’éternel Pierrot et la comédia dell’arte selon Jean Aicard par Leisha Ashdowwn, Maître de conférences à l’université de Palmerston, Nouvelle-Zélande.
  • Othello ou la tentation shakespearienne de Jean Aicard par Jacques Papin, Professeur de lettres.
  • Jean Aicard à l’écran par Jacques Meny, président de l’Association des amis de Jean Giono.
  • Jean Aicard, poète philosophe par Dominique Amman, président de l’Association des amis de Jean Aicard.

Jacques Meny nous a fait découvrir les films inspirés par Jean Aicard ; des drames familiaux comme L’Ibis bleu, le diamant noir et Le Père Lebonnard ; des films régionalistes, dont Maurin des Maures et L’Illustre Maurin, et une histoire de brigands, Gaspard de Besse, qui fournit à Raimu l’un de ses meilleurs rôles. Interprétant les poèmes en de lyriques envolées, Dominique Amman sut nous faire comprendre que la poésie de Jean Aicard a souvent la pitié pour thème, elle l’a sauvé de la désespérance.

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Dimanche 6 juin

Magie arlésienne. Magie de cette lumière particulière qui, jadis, éblouit Van Gogh ; vestiges architecturaux laissés par des générations successives depuis deux millénaires, sans doute ; mais la magie arlésienne ce sont aussi les Arlésiennes ! Erudite et pédagogue, celle en charge de notre groupe avait en outre une forte personnalité et une faconde dignes de la réputation de la ville ; avec elle point besoin de tendre l’oreille, la matinée s’écoulera vite.

L’église Saint-Trophime et son célèbre portail, les arènes et l’Espace Van Gogh font partie des visites traditionnelles ; mais celle des Cryptoportiques est plus surprenante : une double galerie souterraine en fer à cheval datant de la fin du 1er siècle av. J.C., deux couloirs voûtés occupant toute la superficie du forum antique, des soupiraux y diffusent seuls la lumière du jour. Nous rêverons devant le café peint par Van Gogh, au pied de la statue de Mistral, encore à l’ombre d’un micocoulier.

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Pierre Loti est venu à Aigues-Mortes, point n’est besoin de savoir où il est passé pour être certains de mettre nos pas dans les siens. Ombragée de platanes, surplombée par la statue du fondateur de la ville, la place Saint-Louis est le cœur animé de la cité, où toujours on revient. Le tour des remparts sur le chemin de ronde permet de découvrir l’ensemble de la ville mais aussi de belles perspectives sur la Camargue et les salins. Flanquées de tours aux angles et aux portes principales, les fortifications nous sont parvenues intactes.

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La plus haute des tours, couronnée par une tourelle de guet surmontée d’une cage en fer forgé qui, jadis, abritait la lanterne d’un phare et permettait de surveiller les navires entrant dans le port, est aussi la plus célèbre, surtout parce qu’elle servit longtemps de prison, en particulier de prison pour femmes au cours du 18ème siècle. Parmi ces femmes l’histoire retient surtout le nom de Marie Durand dont Anne-Marie Meunier raconte la vie dans un autre article du bulletin n°23 de décembre 2010.

Lundi 7 juin

Pendant des siècles les habitants de l’antique Arelate, cité devenue l’actuelle Arles, ont utilisé le Rhône comme dépotoir, ensevelissant sous le limon du Rhône les objets les plus divers, allant du simple déchet à l’objet le plus précieux. Depuis vingt ans une équipe comprenant une majorité de bénévoles a, sous la direction du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM), retourné en tous sens le fond du fleuve pour en extraire plus de 700 objets, de la bague en or et saphir à une pelle de gouverne de 8 m de longueur, du bouclier au sarcophage, des amphores aux statues, la plupart admirables. Sans relâche, bien avant l’incroyable médiatisation liée au buste de César ou à la Victoire en bronze recouverte d’or, l’équipe a bouleversé le fleuve, d’Arles à la mer, pour retrouver les fondations des constructions et dessiner les contours de la ville antique.

En bordure du Rhône un audacieux bâtiment bleu, de forme triangulaire, abrite tous les objets extraits du fleuve mais aussi de très précises maquettes illustrant la civilisation romaine à l’époque impériale. Les plans d’urbanisme qui jalonnent l’édification des grands monuments permettent de suivre l’évolution d’Arelate.

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Le buste de César, seul portrait connu du dictateur, probablement réalisé de son vivant, est remarquable mais, s’il n’était unique, serait moins célèbre. La Victoire et la statue en bronze d’un captif, les bas-reliefs de sarcophages et le bouclier votif d’Auguste, les précieux objets de la vie courante et les reconstructions de navires antiques méritent tout autant la visite.

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Nous terminerons la journée et le voyage près de Tarascon, à Jalna, la propriété de Fernand Laplaud, où Nicole et Bernard nous accueilleront au soleil et, j’ai failli écrire dans le chant des cigales mais, début juin, les cigales ne « chantent » pas encore ! Les Lotistes partageront le pique-nique offert par Nicole et visiteront en petits groupes l’exposition préparée par Bernard des lettres, livres, tableaux, gravures, statues et objets lotiens divers réunis par son père ; visite trop courte tant il y avait à voir.

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Yves NICOLAS

Toutes les photographies sont de l’auteur.