Couronné en juin par l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre, prix Femina en 2012 pour « Peste & Choléra », Patrick Deville publie « Fenua », (Seuil), huitième escale d’une œuvre vagabonde et foisonnante.
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Chaque livre de Patrick Deville est une invitation au voyage en la meilleure compagnie qui soit : la sienne et celle des écrivains auxquels il fait escorte.
« Fenua » part en Polynésie sur les traces de Loti, Melville, Stevenson, Gauguin, et bien d’autres. Comment avez-vous construit ce foisonnement d’itinéraires ?
« Fenua suit une progression chronologique commencée par l’expédition de Bougainville au XVIIIe siècle et s’achève auprès de Gaston Flosse élu de la Polynésie jusqu’à ces dernières années. Depuis la cabane de Papeete où je me suis installé pendant trois mois, j’ai rayonné en étoile dans l’archipel polynésien. »
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« Que cela soit dans un livre, un journal ou une correspondance, tout le monde se plie à l’exercice. Papeete où l’on arrive forcément, suscite la même condamnation unanime depuis le XIXe siècle : des mois de mer pour débarquer dans une sous-préfecture sans caractère, c’est un peu décevant. Ensuite, la capitale mise à part, vient l’éblouissement des paysages. »
« Ils partent parce qu’ils sont en rébellion contre le siècle, parce que la vie ne suffit pas… Gauguin est emballé au début. À son sujet, on parle surtout des Marquises où il finit sa vie alors qu’il a vécu plus de dix ans à Tahiti. Il y a cette terrible correspondance avec son ami Georges-Daniel de Monfreid, qui sans le savoir le condamne à mort alors que Gauguin souffrant, l’implore de l’aider à rentrer en Europe. Il lui propose même de tricher, de continuer à peindre des tableaux polynésiens depuis l’Espagne. En vain. Il ne fallait pas interrompre le flot d’une œuvre qui marchait du feu de dieu. »
« Trois moments de ma vie coexistent dans « Fenua ». L’enfant qui lisait « L’expédition du Kon Tiki », puis l’adolescent alerté par les essais nucléaires français de Mururoa et enfin, l’adulte qui découvre les revendications indépendantistes. De loin, on a l’impression que la Polynésie c’est la France. De près, on comprend que c’est plus compliqué. »
Depuis « Pura Vida » (2004), premier livre de cet édifice littéraire, votre regard sur le monde a-t-il changé ?
« La préoccupation environnementale est apparue. Au début, je pensais que la révolution politique pouvait changer le monde, en pire ou en meilleur. J’avais plus de foi dans l’action politique. Maintenant, je m’arrête sur la préservation du vivant. Ce thème est présent depuis « Taba-Taba ». Quand j’ai commencé à travailler sur « Amazonia » en 2005 je ne me doutais pas qu’à mon retour au Brésil en 2018, Bolsonaro au pouvoir entraînerait la déforestation impressionnante de l’Amazonie. Et encore, c’était avant les bouleversements liés au Covid. L’autre changement concerne mon vieillissement, autre intérêt d’un projet si long. Le narrateur trentenaire au début est maintenant sexagénaire. Mais le regard sur le monde demeure toujours de l’ordre de la curiosité. Je continue à penser que l’optimisme est un impératif catégorique. Le fait même d’écrire des livres est un signe d’optimisme. »
Fenua est le huitième des douze livres de cette œuvre. Vers quelles destinations allez-vous poursuivre ce double tour du monde ?
« Par crainte de passer pour un fou, lors de mon premier livre, je n’avais rien annoncé de mon ambition littéraire. Pourtant, j’avais en tête dès le commencement l’architecture totale de ce projet appelé « Abracadabra ». « Fenua » m’a emmené vers le point le plus éloigné de Paris. Maintenant, je suis sur le chemin du retour, d’est en ouest. Le prochain livre se situera en Inde. »
Débat « Le Monde » samedi à 15 heures au Théâtre Paul-Scarron : « 100 ans de solitude » avec Catherine Cusset – Maylis de Kérangal et Patrick Deville.