À la (re)-découverte de Madame Chrysanthème de Messager

 

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Par Pierre Degott

 

Visiblement conçue pour faire pendant aux représentations de Madama Butterfly, cette présentation de la comédie-lyrique de Messager apporte la preuve que l’ouvrage français n’a pas besoin d’être comparé à l’opéra de Puccini pour trouver sa place et laisse espérer que cette version abrégée proposée par l’Opéra National du Rhin poursuivra son chemin et encouragera d’autres initiatives :

Dans la foulée des représentations à Strasbourg et à Mulhouse de Madama Butterfly, l’Opéra National du Rhin programme ce petit ouvrage aujourd’hui méconnu, l’opéra-comique Madame Chrysanthème composé en 1893 par André Messager, quelques années avant le célébrissime opéra de Puccini. Le roman éponyme de Pierre Loti, paru en 1888, a inspiré les deux compositeurs, même si le livret de Madama Butterfly est davantage le fruit des sources intermédiaires dérivées de Loti, une nouvelle de John Luther Long et une pièce de David Belasco, deux textes américains tous deux intitulés Madame Butterfly

C’est sans doute une ironie du sort que l’ouvrage de Messager, davantage proche du roman de Loti dans le temps et dans l’esprit, soit aujourd’hui tombé dans un relatif oubli avec toutefois des enregistrements (Janine Micheau au style vocal quelque peu suranné, les sopranos légers Mady MespléSumi JoSabine Devieilhe ou lyriques Barbara HendricksSonya Yoncheva) notamment pour l’air « Le jour sous le soleil béni » (mais la partition recèle pourtant bien d’autres beautés).

https://youtu.be/heS1YcEk-bE

C’est aux jeunes artistes de l’Opéra studio de l’Opéra National du Rhin qu’échoit aujourd’hui l’honneur d’exhumer cette très jolie partition, donnée à la Comédie de Colmar en version abrégée avec accompagnement de piano. Il n’est pas impossible, d’ailleurs, que ce resserrement dramatique et musical ait l’effet de servir plutôt avantageusement un ouvrage dont un nouvel enregistrement discographique (ce qui serait souhaitable) pourrait attester si, au final, il a bien ou mal vieilli. En l’occurrence, le raccourcissement du livret et la suppression d’un certain nombre de personnages secondaires délestent l’ouvrage du supposé exotisme de surface dont il était crédité, pour recentrer l’action autour de l’intrigue constituée des amours, sincères quoique rétribuées, de Pierre et de Madame Chrysanthème. Paradoxalement, avec la jalousie maladive de Pierre (le ténor), la présence amicale d’Yves (le baryton), celle de deux jeunes femmes sur le plateau (Madame Chrysanthème ainsi que le double personnage de Madame Prune et de Madame Fraise, interprété par la même chanteuse), c’est plutôt à l’intrigue de La Bohème que fait penser cette adaptation, dont l’un des nombreux mérites est de résolument tirer l’ouvrage original de Messager vers le naturalisme fin-de-siècle très franco-français dont il est clairement issu. L’entremetteur Monsieur Kangourou aurait sa place dans les quartiers rouges de toutes les capitales occidentales modernes tout aussi bien que dans les bas-fonds de Nagasaki.

La mise en espace de Matthieu Cruciani, directeur de la Comédie de Colmar-CDN Grand Est Alsace où est logé l’Opéra Studio de l’OnR, est des plus efficaces. Sur un plateau totalement vidé de décors et d’accessoires, cinq jeunes chanteurs évoluent avec économie et sobriété. Cette retenue rend d’autant plus pertinents les gestes les plus marquants de l’opéra, comme la scène d’ébriété de Pierre, la séparation finale des amants ou les dernières confidences de Chrysanthème à Yves. Le metteur en scène n’hésite pas de temps à autres à proposer sa propre relecture du livret. En fin de spectacle il fait comprendre, quand bien même cela n’est pas dit dans le texte, que Chrysanthème est vraisemblablement enceinte des œuvres de Pierre, ce qui tisse de nouveaux liens avec l’ouvrage de Puccini.

Les accomplissements de ce spectacle sont également musicaux, grâce à de très jeunes artistes pleins de promesses. Julie Goussot fait valoir un instrument davantage lyrique que léger, d’une rare égalité sur l’ensemble de la tessiture. Les graves sont ronds et sonores et les aigus s’envolent sans problème, sans que soit à aucun moment rompue la beauté et la qualité de la ligne. Cette voix fraîche et fruitée forme un agréable contraste avec la mezzo Elsa Roux-Chamoux qui interprète les deux personnages de Mme Prune et de Mme Fraise avec goût, musicalité et voluptuosité. Dans le rôle d’Yves, Dragos Ionel fait valoir un instrument richement timbré qui semble le destiner aux grands emplois de baryton-basse du répertoire mozartien, une fois que la ligne vocale sera davantage domestiquée. 

Le plateau est néanmoins dominé scéniquement et vocalement par deux ténors. Le premier, l’Australien Damian Arnold, fait preuve d’une grande virtuosité d’élocution, et déploie une gouaille sans pareille dans le rôle de caractère de M. Kangourou. La qualité de son français est notable, ce qui n’est malheureusement pas encore le cas de son partenaire, le Canarien Néstor Galván, qui semble destiné à interpréter les grands rôles de l’opéra français. Il n’en parvient pas moins à proposer du personnage de Pierre un portrait en tout point attachant dans ses élans passionnels. Investi pleinement sur le plan scénique, il fait valoir de très belles demi-teintes tout en disposant d’une voix qu’il sait aussi rendre vaillante et puissante.

Dirigés avec efficacité et discrétion par la cheffe de chant Marie-Claude Papion, les cinq jeunes chanteurs bénéficient du piano attentif de Davide Rinaldi, aux petits soins pour ses artistes mais également pour la partition de Messager dont il sait rendre la subtilité et la délicatesse. De quoi espérer que les programmations et enregistrements donnent à nouveau et bientôt l’occasion d’approfondir la connaissance de cette très intéressante partition.

https://www.olyrix.com/articles/production/4869/madame-chrysantheme-messager-colmar-opera-rhin-19-juin-2021-article-critique-compte-rendu-studio-papion-cruciani-goussot-galvan-chamoux-guillon-arnold-ionel-halbig-rinaldi

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