Sea, text and sun

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Anne-Marie Gelinet | Le 14/10 à 06:00

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Sea, text and sun alxpin/Getty images ; MP/Leemage

 

Les îles ont toujours inspiré les écrivains voyageurs, qu’ils y aient trouvé l’éblouissement ou le tourment. Embarquement immédiat pour Java, Maurice ou les Seychelles, via Hydra, le Sri Lanka ou Tahiti, avec des livres pour esquifs.

 

Tahiti l’éden de Pierre Loti

Un oncle Jean, mousse sur La Méduse qui s’échoua au large du Sénégal ; un frère Gustave, qui fut médecin à l’hôpital de Tahiti : très tôt, le destin de Julien Viaud est scellé. « Oh les fleurs délicieuses, oh les heures d’été douces et tièdes que nous passions là, chaque jour au bord du ruisseau de la Fautaua dans ce coin de bois ombreux… » Reçu à l’École navale à Paris, Julien Viaud prend la mer en 1870 comme aspirant de première classe. En 1872, il est à Tahiti. Il a 22 ans et reçoit de la reine Pomaré le nom d’une fleur tropicale, le loti, qui lui servira plus tard de pseudonyme. « Les heures, les jours, les mois, s’envolaient dans ce pays autrement qu’ailleurs : le temps s’écoulait sans laisser de traces [...] Il semblait qu’on fut dans une atmosphère de calme et d’immobilité, où les agitations du monde n’existaient plus. » Envoûté, il tire de son séjour à Tahiti le cadre romanesque du Mariage de Loti, récit publié en 1880, un an après Aziyadé. Bien plus tard, il écrira : « Je n’arrive plus à croire que ce fut réel, mon séjour de jadis dans l’île lointaine ; il me faut un effort d’attention pour un peu revoir en souvenir la mer bleue bordée de plages toutes blanches de corail, la voûte des palmes, et les Maoris au continuel rêve. »

Lieu de mémoire :

À l’entrée de la vallée de la Fautaua, est érigé, dans un cadre idyllique, un buste de l’écrivain. C’est en effet non loin de là, au « bain Loti » où il avait coutume de se baigner, que le héros de son roman Le Mariage de Loti rencontre la belle Rarahu.

L’hôtel :

Le Moorea Beach Lodge propose une poignée de bungalows récents posés sur le sable à Haapiti, à l’ouest de Moorea. Atmosphère tropicale, chic et intimiste. À partir de 237 EUR le bungalow jardin pour deux avec petit-déjeuner. www.mooreabeachlodge.com

Le livre :

Le Mariage de Loti, de Pierre Loti, Flammarion. 279 p., 8,50 EUR.

Île Maurice la terre perdue de Jean-MArie Le Clézio

« Je suis à moitié Mauricien, j’ai deux nationalités. C’est aussi pour l’île Maurice que je suis content de ce prix. » Les premiers mots de Jean-Marie Le Clézio devant la presse lorsqu’on lui a annoncé, en 2008, qu’il avait reçu le prix Nobel de littérature ne laissent pas de doute. La mer qui roule depuis la nuit des temps contre la barrière de corail, la terre rouge et sèche, les feuilles coupantes des cannes à sucre, les heures passées en haut de l’arbre Chalta à écouter l’obscurité… L’empreinte laissée par l’île de l’océan Indien, où ses ancêtres bretons vinrent se réfugier au xviiie siècle, est profonde. Elle s’inscrit de mille façons dans le roman familial, depuis Le Procès-verbal en 1963, cette oeuvre qui fait revivre les aventures de son arrière-grand-père, « chef juge » à Maurice, jusqu’à Ritournelle de la faim, qui rend hommage à sa mère sous les traits de la jeune Ethel. En passant bien sûr par Le Chercheur d’or et Voyage à Rodrigues, qui sont inspirés de son grand-père, chassé par sa famille de la splendide maison Euréka, ayant passé des années à chercher un trésor dans l’île de Rodrigues, pour finalement partir s’installer à Nice, ville natale de l’écrivain. Les histoires et les mythes de cette maison et de cette terre perdue ont nourri son imagination. Pourtant, ce n’est qu’à quarante ans que Jean-Marie Le Clézio fait le voyage réel à Maurice.

Lieu de mémoire :

À l’ouest de Moka, la maison Eurêka, splendide demeure coloniale de la famille Le Clézio, miraculeusement restée intacte, est ouverte au public. Parc boisé, rivière et varangue ombreuse.

L’hôtel :

L’Anahita Golf & Spa Resort offre tout le charme mauricien au coeur de 213 hectares de jardins tropicaux. À partir de 255 EUR par personne la chambre vue sur golf, en demi-pension, en basse saison. www.anahita.mu

Le livre :

Le Chercheur d’or, de J. M. G. Le Clézio, Folio. 374 p., 8,70 EUR.

Les Seychelles L’escale enchantée de Paul-Jean Toulet

« Mahé des Seychelles, le soir Zette est sur son dimanche Et sous la mousseline blanche Brille son mollet noir Les cases aux fraîches varangues Bâillent le long des quais Dans les branches d’un noir bosquet Etincellent les mangues Tandis qu’en ses jardins fleuris Mystérieuse et belle Rêve une pâle demoiselle Aux chapeaux de Paris »

La vie de Toulet ressemble à son oeuvre : elle est courte (cinquante-trois ans), pleine de courtisanes et de plaisirs souvent réprimés (le poker, l’opium, l’alcool, le talent). Orphelin de mère, il a cherché sa beauté toute sa vie, partout, l’a retrouvée parfois, et perdue souvent. En 1886, âgé de 18 ans, Paul-Jean Toulet découvre les Seychelles en allant retrouver son père à l’île Maurice, le baccalauréat en poche. Il passera dans l’océan Indien trois années de plaisir, grâce à l’héritage laissé par sa mère, décédée à sa naissance. Bourlingueur et poète distingué, plus tard ami de Proust, Debussy et Toulouse-Lautrec, il demeure l’incomparable témoin d’une époque disparue. La perfection de ses Contrerimes le place pour nombre de ses admirateurs, de Borges à Jacques Réda, parmi les maîtres absolus de la poésie française.

Lieu de mémoire :

Comme le poète, on flânera au gré des cases créoles de Victoria, la petite capitale de l’île de Mahé, et aux alentours, au Jardin botanique, à Anse Étoile, dans la baie de Beau Vallon…

L’hôtel :

Le Beachcomber Seychelles Sainte Anne, situé sur une île privée de 220 hectares, à quelques minutes de Mahé, bénéficie d’un emplacement privilégié au coeur d’un des plus importants parcs marins de l’océan Indien. À partir de 197 EUR la nuit avec le petit-déjeuner. www.beachcomber-hotels.com

Le livre :

Les Contrerimes, de Paul-Jean Toulet, Gallimard. 226 p., 9,90 EUR.

Hydra l’été grec d’Henry Miller

En mai 1938, Henry Miller est à Paris, où il a publié Tropique du Cancer, livre censuré aux États-Unis. Sa vie est un chaos splendide. Voici qu’il a soif de silence ; il reçoit une lettre de son ami Lawrence Durrell, qui vit à Corfou : « La mer vous fera glisser doucement et ce bleu douloureux vous calmera. » Et puis, début juin, l’invitation de Durrell se fait plus pressante : « Henry, oui, venez. » Ainsi naîtra, en 1939, à l’issue de ce séjour en Grèce – et notamment à Hydra – qui constituera en quelque sorte ses premières vacances depuis plus de vingt ans, Le Colosse de Maroussi. « La ville, qui fait grappe autour du port en amphithéâtre, est immaculée. Deux couleurs seulement : bleu et blanc – un blanc passé à la chaux tous les jours, jusqu’aux galets dont sont pavées les rues. La disposition des maisons est encore plus cubiste qu’à Poros. Esthétiquement c’est une perfection [...] Cette pureté, cette perfection nue et farouche d’Hydra sont en grande partie le fait spirituel des hommes qui dominèrent l’île autrefois. » À 48 ans, l’expérience de la Grèce sera pour Miller un choc, à tout jamais un tournant profond dans sa carrière d’écrivain.

Lieu de mémoire :

Pour découvrir Hydra à la façon d’Henry Miller, il faut se lancer nez au vent dans ce petit port protégé par des bastions, flâner sans but dans ses ruelles foisonnant de bougainvillées et de jasmin, avec leurs maisons fortifiées et, en contrebas, les caïques et les barques de pêche qui dansent sur l’eau, les ânes qui patientent au soleil et les chats qui somnolent. À aucun moment lors de son séjour, l’écrivain ne prend de notes : il est là pour le plaisir, uniquement, et écrira ensuite de mémoire, « dans la joie ».

L’hôtel :

Cotommatae est une maison patricienne restaurée avec style. Chambres à partir de 130 EUR. www.cotommatae.gr

Le livre :

Le Colosse de Maroussi, d’Henry Miller, Buchet-Chastel. 320 p., 21 EUR.

Sri Lanka Le refuge mélancolique de Nicolas Bouvier

D’imposants remparts entourent la vieille ville de Galle (Sri Lanka), qui s’avance comme un éperon défensif dans les eaux vives de l’océan Indien. On se croirait chez Vauban. Un phare tout blanc se dresse au bout d’une digue, près d’une mosquée installée dans une ancienne église portugaise. On dirait Zanzibar. Des toits de tuiles romaines moutonnent entre les jardins de tamariniers, de manguiers et de cocotiers, à l’ombre de clochers éclatants de blancheur. On pense à Salvador de Bahia au Brésil.

C’est là, à 115 km au sud-est de Colombo, au 22, Hospital Street, que l’écrivain suisse Nicolas Bouvier occupe en 1955 une maison discrète patinée par le temps. Il y séjourne neuf mois, après avoir traversé pendant deux ans les pays du Moyen-Orient et l’Inde, dans une chambre en soupente, louée une roupie par jour. Il y écrit Le Poisson-scorpion, un court récit publié tardivement en marge de son illustre Usage du monde. Le même humour y est mis au service de ce récit d’une escale dépressive, faite « dans l’île des démons », au début de l’indépendance de Ceylan.

Lieu de mémoire :

À l’ombre des fortifications de Galle, au 22, Hospital Street, la chambre bleue aux murs décrépis où vécut l’écrivain se visite. Là, seul et malade, il tomba néanmoins sous le charme de « la beauté spectrale et déglinguée du fort » ; des « façades étroites dont les crépis cannelle, outremer ou saumon mordus par les embruns se défont en demi-teintes précieuses ».

L’hôtel :

L’Amangalla, ensemble de bâtiments coloniaux des xviie et xviiie siècles enfouis dans la végétation, est situé à l’intérieur même des remparts du fort de Galle. À partir de 245 EUR par personne en chambre double. www.aman.com

Le livre :

Le Poisson-scorpion, de Nicolas Bouvier, Folio. 192 p., 7,10 EUR.

Java le voyage oublié d’Arthur Rimbaud

Juillet 1876 : à peine arrivé à bord du vapeur à trois mâts Prins van Oranje en rade de Batavia (l’actuelle Jakarta), le matricule 1428 reprend aussitôt la mer sur un caboteur qui le conduit, lui et ses camarades de fortune, au port de Semarang, sur la côte nord de Java. Le chantre du Bateau Ivre a 22 ans lorsqu’il débarque enfin comme mercenaire à Java, l’île la plus mystique de l’Insulinde.

C’est un secret d’initiés. Un voyage perdu qui reste sans une trace écrite, sans une lettre du poète à ses proches, sans un journal exhumé du fond d’une malle. Jamais on ne saura ce qui a poussé Arthur Rimbaud à empocher la prime de 300 florins afin de s’enrôler pour cinq années dans l’armée néerlandaise. Au bout d’un mois, il déserte. A-t-il seulement été ému par les volcans bleus de l’île ? Par le souffle tiède de ces « pays poivrés et détrempés » ? Par Borobudur, le plus grand mandala de pierre du monde, datant du viiie siècle ? Mystère.

Lieu de mémoire :

La caserne de Salatiga vit passer le poète. Une plaque de marbre vert, posée en 1997, le rappelle : « Ici le poète français Arthur Rimbaud (1854-1891) a séjourné. » Suit le célèbre vers de Démocratie : « Aux pays poivrés et détrempés ! »

L’hôtel :

D’Omah Hotel Yogya propose 17 chambres dans trois maisons traditionnelles, avec piscine, à vingt minutes de Yogyakarta. Une adresse qui doit tout à la personnalité de son propriétaire, né en Australie mais Javanais d’adoption, Warwick Purser. Dès 95 EUR. yogyakartaaccommodation.com

Le livre :

Rimbaud à Java, le voyage perdu, de Jamie James, Les Éditions du Sonneur. 179 p., 16 EUR.

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