Agnès Jarry-Lacombe
Le voyage « Sur les pas de Pierre Loti » a eu lieu cette année en Israël du 4 au 12 septembre. Quinze de nos adhérents y ont participé.
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En 1895, Pierre Loti publia Le Désert, Jérusalem et La Galilée, récits du ‘’pèlerinage’’ qu’il avait accompli en 1894 en Terre Sainte, dans l’espoir de retrouver la foi. Ce fut, hélas, peine perdue, et ces trois ouvrages résonnent avec une acuité particulière, de ses doutes, de ses espérances et, au final, de son désarroi face au néant qu’il entrevoit. Il parcourt le pays, les livres saints à la main, sur les traces des lieux cités dans la Bible et nous laissera ainsi des descriptions tantôt émouvantes et lyriques, lorsque les lieux l’ont touché, comme, par exemple au Lac de Tibériade, tantôt désabusées, presque partout : trop de ruines à l’abandon, trop de touristes, trop de marchands, et avec cette écriture inimitable, où, tel un peintre, il nous raconte ce qu’il voit du pays : habitants, paysages, lieux saints, nous restituant l’atmosphère de son voyage et ses états d’âme.
Entré en Palestine par Gaza* le 26 mars 1894, il visita Jérusalem, en passant au préalable à Hébron* et Bethléem. Puis, à partir du 17 avril 1894, il se rendit à Jéricho*, la Mer Morte, Naplouse* et Samarie*, remontant ensuite vers le Nord jusqu’en Galilée pour découvrir Nazareth, Tibériade et son Lac, avant de rallier Damas en Syrie. Le 23 avril 1894, il écrit : « continuant notre route du soir vers le nord, nous allons donc sortir du vieux pays d’Israël, pour entrer sur le territoire des Gentils. »
Pour des raisons diverses (lieux inaccessibles aujourd’hui marqués ci-dessus par une*, calendrier religieux à respecter), notre voyage se déroula en sens inverse de celui de Pierre Loti.
Après une visite de Tel-Aviv-Jaffa, où nous étions arrivés, nous avons suivi la côte méditerranéenne en montant vers le Nord d’Israël. Aller « Sur les pas de Pierre Loti » ne pouvaient en effet exclure certains ajouts qui font partie de notre propre Histoire. Ainsi, les visites de Césarée, Haïfa et Saint-Jean d’Acre se révélèrent tout-à-fait passionnantes, rappelant à tous l’expansion romaine et l’épopée des Croisés à la reconquête de Jérusalem.
C’est à Nazareth que nos chemins se sont croisés avec Pierre Loti pour la première fois. « Une petite ville semi-orientale, trop modernisée, où les couvents, les églises ont à peine l’air ancien ». Notre impression ne fut guère différente. La Basilique de l’Annonciation date des années 1960…mais la ville est devenue tentaculaire ! De très nombreuses mosquées avec leurs minarets s’étagent dans la ville, pour nous rappeler que nous étions en territoire arabe et avant d’y entrer, nous avons dû passer un poste-frontière.
Puis ce furent, au cœur de la Galilée, le Lac de Tibériade, les ruines de Capharnaüm, sites chargés des souvenirs bibliques qui ne peuvent laisser personne indifférent. Le Lac de Tibériade est un des lieux qui semble avoir particulièrement touché Pierre Loti et il en a laissé des pages magnifiques dont nous avons lu quelques passages à bord d’un bateau spécialement affrété pour nous.
« L’impression qui domine ici toutes les autres, même celle de l’abandon et de la mort, est l’impression de cette paix sereine, supérieure, qui avait commencé de nous envelopper dès les abords du Hattinn. Il semble que Jésus l’ait laissée ici, la suprême paix émanée de lui, car nous nous sentons différents, comme détachés des choses, reposés et bons, ouverts à des pitiés douces, à des pitiés sans bornes… »
A cet égard, je puis donner là un témoignage de la force d’évocation du verbe lotien : notre guide, qui découvrait l’auteur, me demanda le lendemain, suite à cette première lecture, alors que nous nous rendions au Mont Thabor…si je n’avais pas un texte à lire sur ce lieu. Ce n’était pas prévu, mais je le fis bien volontiers. Et, juste après cette lecture, il déclara : « c’est exactement cela ». Tout ce qu’avait écrit Loti lui parlait profondément. Par la suite, à chaque fois qu’une lecture était annoncée, il s’arrangeait pour nous trouver un lieu à l’écart de la foule et du bruit ! Il nous en est resté de puissants souvenirs…ainsi au Gethsémani ou dans une grotte-chapelle jouxtant la grotte de la Nativité à Bethléem.
Notre chemin passa ensuite par Safed, capitale de la Kabbale, avec la visite (la seule qui nous ait été donnée de faire) d’une ancienne synagogue superbement décorée datant du 16ème siècle, d’abord fréquentée par des Ashkénazes, puis par des Séfarades. Après une halte bienvenue dans un vignoble local, la seconde et importante visite de la journée eut lieu au Mont Thabor, pour découvrir la Basilique de la Transfiguration qui surplombe le Mont.
Deux jours entiers furent consacrés à la visite de Jérusalem. On commença par la Vieille ville, où nous retrouvions tous les sites du pèlerinage lotien : Le Mont des Oliviers, le Jardin du Gethsémani (sites hors les Murs), puis le cœur de Jérusalem avec les 3 sites des religions monothéistes : Le Saint-Sépulcre, l’Esplanade des Mosquées, le Mur des Lamentations.
Depuis le Mont des Oliviers, la vue sur Jérusalem embrasse la cité entourée des remparts de Soliman le Magnifique, avec, à ses pieds, les immenses cimetières où tout Israélite rêve de se faire enterrer. Quant au Gethsémani, ce jardin avait pour nous, amis de Pierre Loti, une résonance toute particulière, puisque c’est ici qu’il essaya, mais en vain de ‘’renouer’’ un contact avec Dieu.
« Contre l’olivier, mon front lassé s’appuie et se frappe. J’attends je ne sais quoi d’indéfini que je n’espère pas, – et rien ne vient à moi, et je reste le cœur fermé, sans même un instant de détente un peu douce, comme au Saint-Sépulcre le jour de l’arrivée.
Pourtant ma prière inexprimée était suppliante et profonde, – et j’étais venu de la « grande tribulation », de l’abîme d’angoisse… Non, rien ; personne ne me voit, personne ne m’écoute, personne ne me répond… J’attends, – et les instants passent, et c’est l’évanouissement des derniers espoirs confus, c’est le néant des néants où je me sens tomber… Et l’âme plus déçue, vide à jamais, amère et presque révoltée, je redescends vers la vieille porte garnie de fer, pour rentrer dans Jérusalem. »
Au cœur de la ville, chacun des lieux saints a son caractère propre :
Le Saint-Sépulcre est un lieu fermé : prières et recueillement y dominent, malgré la foule et l’exiguïté des lieux. La semi-obscurité qui y règne amplifie le caractère sacré du lieu. Loti s’y rendit plusieurs fois, le présentant sous un bon ou un mauvais jour selon ses états d’âme. Comme à son époque, les gardiens de ces lieux saints sont toujours des Musulmans, toujours installés à l’entrée pour surveiller les allées et venues de la foule des pèlerins.
L’immense Esplanade des Mosquées impressionne par la magnificence du Dôme du Rocher et l’élégance des portiques, fontaines et minarets qui l’entourent. Le lieu est aujourd’hui ouvert aux quatre vents, mais l’entrée du Dôme, ainsi que celle de la Mosquée Al Aksa restent interdites aux non-musulmans. Loti, par autorisation spéciale, put se rendre sur l’Esplanade, interdite à l’époque et même visiter le Dôme du Rocher, qu’il nomme « la belle et incomparable mosquée d’Omar ». Sa description minutieuse peut encore servir de référence car peu de choses ont changé depuis son passage. Aujourd’hui, les femmes qui ont des robes trop courtes se voient affublées d’une jupe en gros drap couleur bronze descendant jusqu’aux pieds. Trois d’entre nous ont dû se plier à la règle !
Le Mur des Lamentations est séparé en deux parties : côté gauche pour les hommes, côté droit pour les femmes. Il est accessible à tous et certains d’entre nous sont allés glisser une prière dans les interstices du Mur. J’ai pu constater que les Israélites pratiquantes quittent le Mur à reculons, tout doucement, les prières aux lèvres.On ne tourne pas le dos au Mur, lieu sacré pour les Juifs ! De ce lieu, qui lui était interdit d’accès, Loti a laissé quelques pages à oublier…
Le lendemain, nous étions dans la partie moderne de Jérusalem pour visiter des lieux de mémoire, tels le très émouvant Mémorial de la déportation de Yad Vashem, édifié en souvenir des victimes de l’Holocauste et des Justes qui cherchèrent à les sauver et l’intéressant Musée d’Israël où l’on découvre maquettes et manuscrits relatifs à l’histoire du Pays. En fin de journée, sur la colline de Givat Ram où se trouve la Knesset, le Parlement israélien, nous avons posé devant la Ménorah, emblème officiel de l’Etat d’Israël, située en bordure du Jardin des Roses, face au Parlement.
Nous revenions alors de Bethléem, où nous avions passé l’après-midi. Située en territoire arabe, là encore nous avons dû passer un poste-frontière. Contrairement à beaucoup d’autres monuments, la Basilique de la Nativité a gardé un cachet ancien et le passage pour pénétrer à l’intérieur de la grotte où serait né Jésus fait penser à ce que devaient être les lieux de culte des tout premiers temps de la Chrétienté.
Le chapitre de Jérusalem, consacré à Bethléem, résume une démarche caractéristique de Pierre Loti, qui, nous décrivant tout d’abord ses espoirs à l’approche de Bethléem :
« Oh ! Bethléem ! Il y a encore une telle magie autour de ce nom, que nos yeux se voilent…Je retiens mon cheval, pour rester en arrière, parce que voici que je pleure, en contemplant l’apparition soudaine ; regardée du fond de notre ravin sombre, elle est, sur ces montagnes aux apparences de nuages, attirante là-haut comme une suprême patrie… »,
… tout à coup froissé par le manque de solennité des lieux, exprime sa désillusion :
« On est admis par petits groupes et à son tour dans l’église et la grotte de la Nativité, qui confinent à un grand couvent de franciscains, pilotes de ces saints lieux. Nous sommes reçus là par des moines italiens, à la parole et aux gestes communs, qui nous font asseoir dans une salle d’attente et nous y laissent seuls. Une table à manger occupe le milieu de cette salle ; elle est couverte d’une grossière toile cirée et garnie de verres de vin, ou de « bocks » vidés.Où sommes-nous, vraiment, dans quelle auberge, dans quel estaminet de barrière ?… Nous avions été prévenus, nous attendions des profanations, mais pas cela !…Ce nom de Bethléem qui rayonnait, il vient de tomber pitoyablement à nos pieds, et c’est fini ; dans un froid mortel, tout s’effondre… »
…pour finalement, le soir venu, être regagné petit à petit par le charme ambiant des lieux :
« Les détails de ces campagnes immenses, déroulées devant nous, se fondent dans le crépuscule envahissant ; bientôt, les grandes lignes des horizons demeureront seules, les mêmes, immuablement les mêmes qu’aux temps des croisades et aux temps du Christ. Et c’est là, dans ces aspects éternels, que réside encore le Grand Souvenir… »
« Sous la magie du soir, à mesure qu’une sérénité charmée nous revient, nous nous retrouvons pleins d’indulgence, admettant et excusant tout ce qui nous avait révoltés d’abord. »
« Bethléem ! Bethléem !…Une nuit plus tranquille qu’ailleurs nous enveloppe à présent ; tout se tait, les voix, les cloches et les sonnailles des troupeaux, dans un recueillement infini, et un hymne de silence monte de la campagne antique, du fond des vallées pierreuses, vers les étoiles du ciel…»
Le dernier jour du voyage nous réservait la surprise de paysages sublimes à travers le Désert de Judée jusqu’à la Mer Morte (avec bains pour les plus téméraires !), point le plus bas du Globe terrestre (- 400 mètres sous le niveau de la mer), la visite de Massada, dernier îlot de résistance juive à l’occupation romaine et au retour, une vue éblouissante sur le monastère de Saint Georges, dans la vallée de Qelt, donnant sur les montagnes de Jordanie et les déserts environnants.
En guise de conclusion :
« Jérusalem ! Ceux qui ont passé avant moi sur la terre en ont déjà écrit bien des livres, profonds ou magnifiques. Mais je veux simplement essayer de noter les aspects actuels de sa désolation et de ses ruines ; dire quel est, à notre époque transitoire, le degré d’effacement de sa grande ombre sainte, qu’une génération très prochaine ne verra même plus… »
Pour une fois, Pierre Loti s’est trompé : de très nombreux édifices, religieux ou non, et de toutes les époques, sont aujourd’hui en cours de rénovation. Des fouilles sont entreprises un peu partout dans le pays, nous en avons rencontrées en maints lieux…et les pèlerins de toutes les religions continuent d’affluer du monde entier.
Enfin, à l’heure où l’on apprend la faillite de l’agence de voyage COOK, je ne peux m’empêcher de citer un passage de La Galilée, où Loti apparaît en pourfendeur des touristes accusés de ne rien respecter !
« En hâte, en fièvre comme toujours, nos hommes jettent à bas les charges de leurs bêtes…..mais une de ces bandes Cook, qui sillonnent à présent la Palestine, y est passée ces jours-ci, en marche idiote vers Damas, et l’herbe en garde les traces : boîtes de conserves, épluchures, inqualifiables lambeaux du Times… Avec effroi nous faisons recharger et reporter notre bagage plus haut, dans le cimetière : en Orient, on n’est pas profanateurs pour camper parmi les tombes ».
Septembre 2019
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