NO PASSARELLE ! PASARELARIK EZ !

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Vous aimiez cette vue. Vous imaginiez Loti derrière la fenêtre de la tour, contemplant la Bidassoa pour y puiser l’inspiration de ses plus beaux textes et se nourrir de « l’âme basque ». Bakharetchea, sa maison solitaire, était comme le symbole de la présence en Euskarellia de l’écrivain solitaire qui l’avait adopté, au large de la banalité.

Eh bien ! Loti aura sous les yeux, non pas le fleuve de la frontière « inappréciable », miroir de sa nostalgie, mais bientôt une passerelle comme on en voit dans les gares. Là où, tard dans la nuit, il se baignait avec ses matelots, là où, avec sa complicité et sous sa protection, accostaient ses amis contrebandiers pour décharger leurs ballots, là où l’attendait la baleinière chargée de l’emmener à Fontarrabie ou à l’île des Faisans… une structure sans charme fera désormais obstacle.

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Au nom du confort des marcheurs qui ne regardent que leurs pieds et des cyclistes qui ne regardent que leurs pneus, pour « compléter l’offre touristique » d’une ville qui se meurt de ne pas oser affirmer sa personnalité, un de ses fleurons, un de ses emblèmes se trouve raturé d’un long trait.

Suspendu à au moins 3,50 m, au plus à 4,20 mètres au-dessus de la grève, un ponton de bois et de métal de 2,80 mètres de largeur reposant sur une vingtaine de piliers viendra longer la Villa Mauresque, la maison Loti et Gastelueldia, les touchant presque par endroits.

« Impact visuel » minime, affirment les promoteurs du projet. Aucune atteinte « au caractère remarquable du site ». Mais ce qui est remarquable dans ce site, c’est d’être resté jusqu’aujourd’hui dans son état d’origine et de rappeler tant de précieux souvenirs ! C’est d’être la façade d’une ville qui s’est faite sur la Bidassoa, halte de pèlerinage, port de pêche, havre poétique.

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On parle de « l’ouvrir au public ». C’est en vérité le fermer, car ce site s’apprécie de loin, tel qu’il est représenté sur les cartes postales d’antan et tel qu’on le découvre de l’embarcadère du Vieux port ou du chemin côtier. Que verra-t-on de ces monuments classés, le nez dessus ? Jusqu’à présent, promeneurs et cyclistes découvraient ces bâtis singuliers, dans leurs styles disparates – le néomauresque, le pseudo-basque et le parisien -, par le chemin des Pêcheurs et la rue Pierre-Loti. Ils lisaient en marchant ou en roulant, une page de l’histoire d’Hendaye et de l’humanité ; ils apprenaient que Loti était mort là et non à Rochefort. Désormais ils passeront sans savoir.  

Lorsque pour des raisons d’aménagement et de lotissement de la plage, le fronton où Loti avait l’habitude de disputer ses parties de pelote avec ses amis Hendayais fut démoli, l’auteur de Ramuntcho menaça d’abandonner la ville qu’il avait prise en affection. Cette fois, je crois qu’il mettra la menace à exécution !

Mais peut-être n’est-il pas trop tard pour empêcher ce projet.

 Jean-Louis Marçot

Pour la première édition de Sur les pas de Pierre Loti à Hendaye, en 2018, dans le cadre des Journées européennes du Patrimoine, plus de 60 personnes s’étaient rassemblées au pied de la tourelle pour écouter la lecture de textes de l’écrivain s’y rapportant. Comment ferons-nous avec cette passerelle de moins de 3 mètres de large, au milieu du défilé des marcheurs et des cyclistes ?

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Plus jamais cette vue ?

Extrait d’un article publié dans Les Annales du 31 décembre 1911 sous la signature de Paul Faure, un ami de Pierre Loti, familier de Bakharetchea.

En passant devant chez Loti

[...] Deux heures… Les bateliers s’animent; le train de la côte vient d’arriver bondé de voyageurs qui courent à toutes jambes vers le port. En un clin d’œil, les embarcations sont pleines. Anglais, Allemands, Français, toutes les nationalités, tous les accoutrements; on s’empile dans les barques qui se mettent à glisser sur l’eau ensoleillée, au bruit des rires, des exclamations de toutes sortes. La marée étant haute, les barques, pour atteindre Fontarabie, filent en droite ligne; mais voilà qu’elles hésitent, s’arrêtent, tournent à droite, viennent ici; une a commencé son changement de route; puis deux, puis toutes; c’est qu’une voix, puis d’autres, ont demandé :

— Montrez-nous la maison de Loti.

Les femmes ont pris leur lorgnette, les hommes leur kodak ; les barques approchent, les voici. Elles se rangent au pied de la tourelle, comme se rangent des pèlerins au pied d’un sanctuaire, et on descend sur la petite grève. Tous savent, pourtant, qu’ils n’apercevront pas Loti ; ils savent que si, par hasard, il était sur cette tourelle, il fuirait devant tout ce monde. Mais ils restent là, fascinés, devant cette petite maison muette. Les kodak fonctionnent ; j’entends les crépitements de leurs déclics pareils au bruit des machines à écrire. Un vieillard prend par la main un petit garçon, — probablement son petit-fils, — le conduit à la porte de la tourelle ; et, une fois sur l’étroit seuil:

— Maintenant, lui dit-il, tu pourras raconter que tu as vu la maison de Loti.

Une femme détache des feuilles d’une branche d’acacia, les met dans son sac à main ; une autre emporte des galets de la petite grève ; celle-ci se hisse jusqu’à la terrasse et regarde avec des yeux hypnotisés ; celle-là griffonne un mot sur un papier, l’enveloppe dans un mouchoir, le lance dans le jardin. Une Russe est debout sur sa barque ; immobile, hermétique, elle regarde la maison, elle la regarde comme éblouie par quelque apparition surnaturelle. Bien qu’ils ne voient rien, ils resteraient là, tous, si les bateliers, pressés d’aller chercher d’autres voyageurs ne donnaient le signal du départ. Alors, les barques s’en vont ; mais d’autres arrivent qui, elles aussi, quittent la ligne droite pour s’arrêter devant la terrasse fameuse. [...]