Carnet de voyage : une balade à Tanger

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François LaRochelle Ancien diplomate canadien, Fellow de l’Institut d’études internationales de Montréal (UQÀM).

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Cette ville a du vécu. De par sa position géographique stratégique, elle a été à la confluence des civilisations méditerranéennes. Son antiquité fut phénicienne, carthaginoise et romaine.

Morocco, Tangier, view of Old City from harbour

Dede Burlanni via Getty Images. Tanger a su préserver une authenticité et un caractère qui à mon avis valent toujours le déplacement.

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J’ai toujours voulu aller à Tanger, au Maroc.

Adolescent, je lisais les écrivains de la génération beat. Dans les années ’50 cette ville était un de leurs lieux de prédilection. Jack Kerouac (l’auteur de On the road), Allen Ginsberg, et William S. Burroughs y passèrent du temps. Ce dernier y a écrit son œuvre la plus connue : Le festin nu.

Ils venaient visiter l’écrivain américain Paul Bowles (Un thé au Sahara) installé là depuis 1947. Ils en profitaient pour goûter aux plaisirs avouables et inavouables que Tanger pouvait leur offrir, notamment les drogues en abondance, et une liberté de mœurs. Tennessee Williams et Truman Capote y séjournèrent aussi. La ville qu’ils décrivaient sentait le soufre, mais aussi la liberté et l’exotisme.

Ces artistes n’étaient pas les premiers à venir s’y inspirer. Ce fut le cas des peintres Delacroix, Matisse, et de l’excentrique écrivain français Pierre Loti.

Tanger fut aussi la scène de Tintin et Le crabe aux pinces d’or d’Hergé.

Un peu d’histoire

 

Cette ville a du vécu. De par sa position géographique stratégique, elle a été à la confluence des civilisations méditerranéennes. Son antiquité fut phénicienne, carthaginoise et romaine.

L’Islam y fit son entrée au 8e siècle. C’est à partir de Tanger que Ṭariq ibn Ziyad, d’origine berbère, lança la conquête musulmane de la péninsule ibérique, en 711. Les Arabes y fonderont Al Andalous et ne quitteront l’Espagne qu’en 1492.

Les Portugais s’emparèrent de Tanger en 1471 et la cédèrent à l’Angleterre en 1661 comme dot apportée par Catherine de Bragance à son époux Charles II d’Angleterre. Elle fut reprise par le sultan de l’époque en 1669.

Au 18e siècle la ville devient une capitale diplomatique et le siège des représentations étrangères accréditées auprès du sultan. À la fin du 19e siècle, la France, l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Allemagne multiplient les missions diplomatiques, commerciales et militaires pour placer leurs pions, mettant la ville au centre des rivalités internationales.

En 1923, Tanger devient une zone internationale affranchie de droits de douane. Ce statut attire les investissements, mais aussi une faune cosmopolite européenne qui participa à cette réputation sulfureuse de trafics en tout genre.

Tanger, Maroc

Pixabay. Tanger, Maroc

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On y trouvait aussi une grande communauté juive. Cette dernière a pratiquement disparu suite à la création d’Israël, puis la guerre de 1967. On retrouve désormais cette diaspora un peu partout à travers le monde. En Israël, bien sûr, mais aussi ici au Québec.

Ce sera à Tanger en 1947 que le roi Mohamed V fera son premier discours réclamant l’indépendance du Maroc.

Profitant d’un séjour à la mi-janvier cette année, chez un ami à Rabat, j’ai finalement pu réaliser un voyage de deux jours à Tanger. Je ne l’ai pas regretté.

Il fut facilité par la récente mise en service d’un TGV français (Al Borak) qui relie désormais Casablanca à Tanger. Rabat ne prend maintenant qu’une heure et quart au lieu d’environ quatre heures auparavant. Des gares flambant neuves ont été construites à Rabat et Tanger. Impressionnantes.

Tanger est devenue une grande ville moderne, mais la médina avec ses remparts et ses ruelles a gardé tout son charme. Il me fut fort agréable d’y déambuler, en paix, en profitant de la douceur du climat. Il y avait peu de touristes à part quelques vieux Britanniques et des Chinois évidemment. Et des expatriés français.

La kasbah est à l’échelle humaine et les vendeurs n’insistent pas pour vendre leurs babouches ou autres souvenirs. Une heureuse surprise.

Entrance of the Kasbah

Pierre-Yves Babelon via Getty Images. La porte d’entrée de la Kasbah, Tanger.

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On y trouve notamment un joli musée des Cultures méditerranéennes, logé dans un ancien palais qui confirme que depuis des millénaires Tanger était un carrefour.

Du haut des murailles, par beau temps, on peut voir la ville de Tarifa en Espagne située à une quinzaine de kilomètres seulement. Cela explique pourquoi tant de réfugiés rêvent de faire la courte traversée, quitte à y laisser leur vie.

La ville n’est évidemment plus celle décrite par mes auteurs béats. Certains endroits qu’ils fréquentaient existent encore comme les cafés du Petit Socco, mais beaucoup sont passés sous le rouleau compresseur de l’histoire urbaine. Je ne me suis fait offrir du haschich qu’une seule fois…

Plus loin il y a maintenant un centre-ville moderne et aéré avec ses cafés, pizzérias et magasins de luxe.

L’ancienne légation américaine, un très bel édifice, est devenue un musée. Outre l’histoire assez fascinante des relations fort anciennes entre les États-Unis et le Maroc (ce pays fut le premier à reconnaître l’indépendance américaine en 1777), on peut y visiter une petite exposition permanente sur Paul Bowles comprenant photos, dessins et quelques objets dont son vieux dactylo.

À la petite librairie des Colonnes sur le boulevard Pasteur on trouve des livres en français sur la région, et d’auteurs locaux.

Je me suis régalé au restaurant Saveur du poisson, situé près du marché des Pauvres. Il n’y a qu’un menu… de poisson. Quatre services incluant soupe et dessert que l’on mange avec une cuillère et une fourchette en bois.

Prendre le thé à la menthe sur le Grand Socco, à la terrasse du Café de la cinémathèque, en regardant la foule bigarrée revenir du marché est un spectacle en soi.

Mint Tea, Cafe Hafa,Tangier, Morocco

Yann Guichaoua-Photos via Getty Images. Thé à la menthe

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Tanger a beaucoup changé, à l’instar d’autres villes de la région qui, comme elle, furent jadis des havres de diversité. Surpeuplée, pauvre et polluée, Alexandrie en Égypte, par exemple, n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été.

Mais Tanger, elle, a su préserver une authenticité et un caractère qui à mon avis valent toujours le déplacement.

On y retourne ? Oui !

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Et pour en savoir plus :

C’est en avril-mai 1889 que Pierre Loti a découvert le Maroc, au cours d’une mission diplomatique du Ministre Patenôtre qui l’avait invité à faire partie de la délégation officielle qui devait l’accompagner.

Dans son récit “ Au Maroc”, qui a été publié en  janvier 1890, Pierre Loti raconte son périple de Tanger à Fez, et au retour, de Meknès à Tanger.

A propos de ce récit marocain Montherlant écrira : “C’est le meilleur livre que j’ai lu sur le Maroc !”

* Ce récit  édité sous le titre “ Au  Maroc par Pierre Loti “, que nous  vous conseillons de lire (ou de relire) a été publié par plusieurs éditeurs , notamment  par  Christian Pirot  (Bibliomonde / Collection autour de 1900/2000 –318 pages)

* Ce récit figure également dans le Volume III  de Pierre Loti – JOURNAL 1887-1895 (Edition de A.Quella-Villéger et Bruno Vercier- / Les Indes Savantes – (pp 204 à 223 )

* Par ailleurs, un intéressant article  de Mohamed Médiène , suivi d’une photo de Pierre Loti posant dans son salon , au milieu de tous les  souvenirs qu’il avait rapportés de son voyage marocain,  est accessible en cliquant sur le lien –>  http://mediene.over-blog.com/article-11388555.html

 

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