Le «merveilleux» Jean-Michel Othoniel élu à l’Académie des beaux-arts

Logo Figaro culture

 

 

Valérie Duponchelle

-

Jean-Michel Othoniel, dit « JMO », au carré Sainte-Anne à Montpellier, en juin 2017. PASCAL GUYOT/AFP

 

Au cours de la séance plénière du 14 novembre, l’Académie a élu l’éternel jeune homme de l’art contemporain au 5e fauteuil occupé jadis par Eugène Dodeigne (1923-2015), section Sculpture. L’artiste des perles monumentales et du merveilleux l’a emporté sur les candidatures d’Orlan et de Nicolas Alquin.

 

Au cours de la séance plénière du mercredi 14 novembre, l’Académie des beaux-arts a élu Jean-Michel Othoniel au 5e fauteuil précédemment occupé par Eugène Dodeigne (1923-2015), dans la section de Sculpture. Cet artiste cher à la scène contemporaine, ce prototype exemplaire d’une réussite française et ce gentilhomme représenté par la puissante galerie Perrotin l’a emporté sur les candidatures d’Orlan, déesse intrépide de la métamorphose, et de Nicolas Alquin.

Jean-Michel Othoniel, alias « JMO », c’est un nom désormais très international, de la Floride à la Corée du Sud où ses colliers monumentaux en perles de verre façonnées à la main ont apporté leur merveilleux, leur part d’enfance, leur goût oublié d’un métier au service de l’art. Sa Grande Croix rouge, 2007-2008, toute simple, deux lignes perpendiculaires de perles rouges, culmine sur les hauteurs de Château La Coste, à côté de La Chapelle de Tadao Ando, 2011. C’est l’une des trente œuvres d’art installées in situ du domaine viticole de l’Irlandais Paddy McKillen, investisseur immobilier fou d’art, et l’une des plus photographiées par le flot de visiteurs. C’est aussi une personne charmante qu’il est impossible de prendre en défaut de mauvaise humeur ou de mesquinerie.

« Il y a deux types de Stéphanois, ceux qui partent et ceux qui restent » Jean-Michel Othoniel

 

Il y avait de l’émotion dans la voix de Jean-Michel Othoniel, l’an dernier, lors des trente ans du Musée d’art moderne de Saint-Étienne. L’artiste est pourtant rodé au succès depuis sa rétrospective, tout jeune, au Centre Pompidou en 2011 et son glorieux été 2017 avec La Grande Vague à Sète et Montpellier, plus monumentale, plus sombre que tout ce qu’il a réalisé auparavant. Ce renouveau architectural lui a valu les honneurs de Forbes Magazine. « Il y a deux types de Stéphanois, ceux qui partent et ceux qui restent », nous disait-il alors avec malice. « En 1981, j’ai voulu partir de cette ville, de son austérité, de sa noirceur. J’avais 18 ans. J’en ai 53. La ville de mon enfance n’était pas gaie. Elle était noire, travailleuse, aux couleurs de ce pays minier de montagnes. Fils d’institutrice, j’allais à l’école laïque, donc je vivais avec les enfants de mineurs. Une chose m’émerveillait : le Musée d’art moderne. J’y suis allé très tôt avec mon école. La ville était communiste et y envoyait toutes les écoles pour faire grimper les entrées. » Éternel jeune homme de l’art contemporain, il rit.

Présent dès 1992 à la Documenta de Cassel

 

Né en 1964 à Saint-Étienne, Jean-Michel Othoniel a, depuis la fin des années 1980, inventé un univers aux contours multiples dont le merveilleux s’est peu à peu dégagé, faisant exploser sa cote de popularité. Explorant d’abord des matériaux aux qualités réversibles, aux propriétés poétiques et sensibles, tels le soufre ou la cire, Jean-Michel Othoniel est présent dès 1992 à la Documenta de Cassel grâce au grand « curator », feu Jan Hoet. Il utilise le verre depuis 1993. L’introduction du verre marque un véritable tournant dans son travail. Collaborant avec les meilleurs artisans de Murano, il explore les propriétés de ce matériau qui devient dès lors sa signature. La délicatesse du verre et la subtilité de ses couleurs participent du vaste projet de l’artiste : poétiser et réenchanter le monde. Ses œuvres ont pris aujourd’hui une dimension plus architecturale et trouvent leur place dans les jardins ou les sites historiques, à travers des commandes publiques ou privées, dans le monde entier.

Les fontaines du bosquet du Théâtre d'eau, à Versailles, transforment en sculpture les pas de danse du Roi Soleil. Wikipedia COmmons

Les fontaines du bosquet du Théâtre d’eau, à Versailles, transforment en sculpture les pas de danse du Roi Soleil. Wikipedia Commons

 

En 1994, il participe à l’exposition Féminin/Masculin au Centre Pompidou à Paris dans laquelle il présente une série d’œuvres en soufre ainsi qu’une installation-performance My Beautiful Closet mettant en scène des danseurs filmés dans l’obscurité d’un placard. En 1996, il est pensionnaire à la Villa Médicis à Rome. C’est à partir de ce moment qu’il commence à faire dialoguer ses œuvres avec le paysage, suspendant des colliers géants dans les jardins de la Villa Médicis, aux arbres du jardin vénitien de la Collection Peggy Guggenheim (1997), ainsi qu’à l’Alhambra et au Generalife de Grenade (1999).

En 2000, Jean-Michel Othoniel répond pour la première fois à une commande publique et transforme la station de métro parisienne Palais-Royal-Musée du Louvre en Kiosque des Noctambules. Cette œuvre toute en courbes et en couleurs, à la fois massive et délicate, est devenue aujourd’hui partie intégrante de l’espace public : musiciens, chanteurs et amoureux s’installent autour, devant, tout naturellement. Sa création se partage dès lors entre les lieux publics et les espaces muséaux. En 2003, pour l’exposition Crystal Palace présentée à la Fondation Cartier pour l’art contemporain à Paris et au MOCA de Miami, il fait réaliser à Venise et au Centre international du Verre à Marseille (Cirva) des formes de verre soufflé destinées à devenir sculptures, entre bijoux, architectures et objets érotiques.

Un travailleur acharné qui ignore les vacances

 

En 2004, le musée du Louvre l’invite à exposer dans les salles mésopotamiennes dans le cadre de l’exposition Contrepoint. Il réalise ses premiers colliers autoportants dont la grande Rivière Blanche acquise ensuite par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAM).

Jean-Michel Othoniel est un travailleur acharné qui ignore les vacances, les grasses matinées, les jours sans art. Il est de tous les dîners en ville, sans jamais accuser la moindre fatigue apparente. Cet esprit positif partage depuis longtemps la vie - mais pas l’atelier - du sculpteur belge Johan Creten. Sa meilleure amie est l’artiste conceptuelle Sophie Calle, réputée pour sa répartie acide. Cela donne l’envergure du personnage, affable, fraternel, profond, très loin des stéréotypes de l’art.

Le voyage est un de ses thèmes récurrents. Il est mis en lumière dans le projet Le Petit Théâtre de Peau d’Âne (2004, collection Centre Pompidou), inspiré de petites marionnettes trouvées dans la maison de Pierre Loti, présenté sur la scène du théâtre de la ville de Rochefort puis du Théâtre du Châtelet à Paris. Comment réconcilier les contraires ? L’artiste fait dialoguer le poétique et le politique, dans son Bateau des larmes, hommage aux exilés via une barque de réfugiés cubains trouvée à Miami, couverte d’une cascade de perles de couleurs en autant de larmes de cristal limpide (exposé à Art Unlimited 2005, et depuis dans les collections de la Fondation Vuitton).

À l’occasion d’un séjour en Inde en 2010, Jean-Michel Othoniel travaille avec les verriers de Firozabad. Avec eux, il réalise une série d’œuvres qui seront présentées l’année suivante au Centre Pompidou dans son exposition My Way. En 2012, le musée Delacroix à Paris l’invite à dialoguer avec ce lieu chargé d’histoire : ce sera une série de sculptures inspirées de l’architecture des fleurs et de planches de son Herbier merveilleux. Au printemps 2013, le Mori Art Museum de Tokyo lui commande, pour son 10e anniversaire, Kin no Kokoro, monumental cœur de perles de bronze doré installé de façon pérenne dans le jardin japonais Mohri Garden, c’est la rencontre entre les thèmes récurrents de son travail et la symbolique sacrée extrême-orientale.

L’année 2015 est royale. Marquée par le réaménagement, avec le paysagiste Louis Benech, du bosquet du Théâtre d’Eau dans les jardins du château de Versailles. Pour cette commande, passée à l’issue d’un concours international, Jean-Michel Othoniel crée trois sculptures fontaines en verre doré, inspirées des chorégraphies du Maître de danse du roi Louis XIV, Raoul-Auger Feuillet. L’artiste réalise, avec Les Belles Danses, la première œuvre pérenne au sein du palais commandée ainsi à un artiste contemporain. En septembre 2016, Jean-Michel Othoniel dévoile une autre œuvre d’art monumentale, Le Trésor de la cathédrale d’Angoulême, sur laquelle il a travaillé pendant plus de huit ans.

Il n’oublie pas d’où il vient. Pour les 30 ans du musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, Othoniel a imaginé en décembre 2017 une exposition en quatre points cardinaux, Face à l’obscurité. Elle succède au printemps 2018 à l’installation sanglante du britannique Anish Kapoor, My Red Homeland, dans la vaste salle blanche centrale.

Caverne mythologique

 

La grande vague de briques noires de Sète et Montpellier a doublé de volume et se referme pour devenir caverne mythologique. Cette « œuvre très matricielle » renferme son mystère, «la peur de l’enfance ». « Je me souviens des hommes noirs de minerai, marchant dans la rue », nous dit-il alors. Face à cette caverne symbolique où gronde l’humanité, de grands blocs d’obsidienne sont les autres références plastiques au monde disparu de la mine, au charbon, synonyme de bien précieux, puis de désastre social. Entre ces deux piliers forts, une toute petite photo en noir et blanc, Autoportrait en robe de prêtre. « J’ai choisi cette photo de performance – il s’agissait déjà d’escalader un grand mur de briques – parce que c’est la frontière précise entre le travail d’étudiant et celui d’artiste. » Lui fait face un film réalisé il y a quinze ans pour Saint-Étienne : Jean-Michel Othoniel y transformait un « crassier » (un terril) en noble volcan.

La section de sculpture est actuellement composée de six membres : Jean Cardot, Claude Abeille, Antoine Poncet, Brigitte Terziev, Pierre-Edouard et Jean Anguera. Au cours de la séance plénière du 14 novembre 2018, l’Académie des beaux-arts a également élu Marc Barani au fauteuil de Claude Parent (1923-2016) et Bernard Desmoulin à celui d’Yves Boiret (1926-2018) dans la section d’architecture. Ces élections seront soumises dans les prochains jours à l’approbation du président de la République, protecteur de l’Académie. L’Académie des beaux-arts est l’une des cinq académies composant l’Institut de France.

 Valérie Duponchelle

 

Valérie Duponchelle AuteurSa biographie

http://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2018/11/14/03015-20181114ARTFIG00318-le-merveilleux-jean-michel-othoniel-elu-a-l-academie-des-beaux-arts.php

Et pour en savoir plus :

 

- Lire ou relire un article d’Yves Nicolas dans le Bulletin N° 12 de Juin  2005 intitulé  : L’exposition de Pierre Loti et Jean-Michel Othoniel   » LE PETIT THEATRE  DE PEAU D’ANE  » Rochefort, Théâtre de la Coupe d’Or, 19 décembre 2004 au 15 janvier 2005 et Paris, Théâtre du Châtelet, 7 février au 13 mars 2005.

NB : en cliquant sur la rubrique bulletin du site, vous saurez comment commander d’anciens numéros.

- En cliquant sur le lien ci-dessous, on peut voir des  photos  de l’iconographie en couleurs  d’Othoniel illustrant le Petit Théâtre de Peau d’âne au Théâtre de la Coupe d’Or à Rochefort en 2004 :

https://www.perrotin.com/fr/artists/Jean-Michel_Othoniel/9/vue-de-lexposition-le-petit-theatre-de-peau-dane-a-maison-pierre-loti-et-theatre-de-la-coupe-dor-rochefort-france-2004/100000178

Théâtre Peau Ane - Othoniel-2Théâtre Peau Ane - Othoniel

théâtre peau d'âne 3

théâtre peau d'âne 4

[ L’ensemble du Petit théâtre de Jean Michel Othoniel est composé de quatre tables dressoirs  ( la table monstrueuse, la table du temps, la table du soleil, la table de la lune) sur lesquelles sont présentées, sous globe transparent , des petites architectures de verre, ainsi que des petites marionnettes , créées de ses mains  par le jeune Julien Viaud, 150 ans auparavant !  Elles ont été prêtées à J.M. Othoniel par la Maison de Pierre Loti à Rochefort lors de la présentation de son œuvre en 2004.]

 

Cliquez sur « articles précédents » situés tout en bas de cette page pour consulter toutes les actualités