EDMOND ROSTAND LE NEZ DEHORS

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Promenades végétales chez des auteurs à l’âme de cultivateurs. Aujourd’hui, la villa du dramaturge au Pays basque.

 

Rostand a dessiné lui-même le jardin de la villa Arnaga, où il vivait.

Rostand a dessiné lui-même le jardin de la villa Arnaga, où il vivait. Photo Gaizka Iroz. AFP

 

La rencontre avec un lieu fait-elle jardin ? Edmond Rostand a été emballé par une colline en friche de 17 hectares où serpente l’Arnaga à Cambo-les-Bains (Pyrénées-Atlantiques). En pleine gloire après le succès phénoménal de Cyrano de Bergerac et de l’Aiglon, atteint d’une maladie pulmonaire, il s’est réfugié en 1900 dans cette petite station thermale du Pays basque. Il achète ce terrain avec sa femme, Rosemonde Gérard, sur un coup de cœur. «Il est rare que le paysage n’ait pas quelque imperfection […]. Dans quelque direction que l’on se tourne, le tableau est harmonieux en tous ses détails, parfait de proportions et de mesure.» Une table rase pour y créer une œuvre totale. Il a 34 ans. A l’architecte Albert Tournaire, il commande une immense villa de style basque de 40 pièces. Le jardin, il le dessine lui-même, en se documentant comme pour ses œuvres littéraires, avec un perfectionnisme obsessionnel. Il opte pour un mixte. Au soleil levant, devant la façade de la maison, il implante un jardin de deux hectares à la française, fermé par une grande pergola à colonnades recouverte de rosiers et de vigne et flanquée de deux pavillons. Avec vue plongeante sur les montagnes pyrénéennes.

«Dualité»

Trois espaces s’y succèdent bordés de buis et de charmilles taillés : un parterre de fleurs avec des ifs en topiaire, un vaste bassin où se reflète la maison, des pelouses qui encadrent un long canal étroit. Côté ouest, Rostand conçoit un jardin à l’anglaise, avec pelouse, grands conifères comme des cryptomerias du Japon, feuillus, azalées, rhododendrons, cornouillers de Floride selon les saisons. «Sur ce long plateau dominant le paysage, il a planté cette demeure qui témoigne de la dualité de son caractère. Du côté du levant, il installe un vaste jardin à la française, somptueux, rempli de références littéraires et artistiques qui reflètent de son besoin de gloire et de panache. Côté couchant, la prairie nous montre sa face plus sauvage, moins policée, son besoin de liberté ainsi qu’une certaine mélancolie. Des traits de caractère qu’il partage avec ses personnages de fiction Cyrano de Bergerac, l’Aiglon et Chantecler», estime Béatrice Labat, directrice du musée Edmond Rostand-Villa d’Arnaga (1).

Décors

Des bois couvrent les pentes autour des jardins, mais Rostand, pressé, veut rajouter des sujets matures, pas «de ces arbres que l’on plante tout petits, qui pendant longtemps ne sont que des plumeaux, et ne poussent chaque printemps que d’un centimètre». Il trouve des tilleuls âgés de 14 ans non loin de sa propriété, puis des platanes, des cyprès, des ifs taillés. «Par ce moyen, Rostand donna de la patine à son jardin. Arnaga eut tout de suite de l’âge», raconte son ami Paul Faure.

La nature éclate aussi dans la maison aux larges ouvertures. Elle est omniprésente dans les décors intérieurs sous forme de peintures murales. Le jardin était sans doute un sujet privilégié de conversation avec ses visiteurs amis Pierre Loti et Francis Jammes. «Je ne désire plus qu’une chose : finir ma vie devant mon jardin», disait-il en 1917. C’est à Paris qu’il mourra un an plus tard, le 2 décembre 1918, de la grippe espagnole. Arnaga, propriété de la ville de Cambo depuis 1863, demeure en majesté.

(1) Colloque «Jardin  & littérature», éditions des Falaises, 2020.

Demain : André Gide dans le pays d’Auge

Frédérique Roussel