Première Guerre mondiale : ces jeunes marins bretons devenus héros de Dixmude

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Par Antoine Bourguilleau

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Le contre-amiral Pierre Alexis Ronarc’h décorent des fusillers marins ayant servi à Dixmude et Nieuport, 1915. © Garitan/Le pays de france N° 61, page10.

 

En 1914, une brigade de jeunes fusiliers marins, composée en majorité de Bretons, défendit avec rage cette ville belge contre les Allemands. Au prix d’une hécatombe.

Octobre 1914. La France parvient enfin à porter un coup d’arrêt à l’avancée inexorable de l’armée allemande sur son territoire depuis le début de la guerre. Mais elle n’est pas tirée d’affaire pour autant. Les Français, ainsi que les Britanniques et les Belges, sont désormais lancés dans une infernale « course à la mer » pour fixer une ligne de front jusqu’aux villes côtières des Flandres.

Dans cette précipitation générale, une poignée de fusiliers marins bretons va se distinguer par son courage dans une petite ville de Belgique : Dixmude. Pour le contre-amiral Pierre Alexis Ronarc’h, le plus jeune officier général de la Marine française, et les 6 500 hommes sous son commandement, l’heure décisive a sonné. Après avoir gagné la ville de Gand  depuis Paris, et marché plus de 80 kilomètres dans une plaine détrempée par la pluie, ce natif de Quimper et ses matelots débarquent à Dixmude, adossé à la rivière de l’Yser. Leur mission ? Affronter le fer de lance de l’armée allemande, la 4e armée du duc Albrecht de Wurtemberg et ses dix divisions, qui veut faire reculer les Alliés pour occuper la Belgique et empêcher ainsi l’envoi de renforts depuis l’Angleterre. Mais, pour y parvenir, les Allemands doivent faire sauter le verrou de Dixmude, occupé par les fusiliers marins.

 

Amiral Pierre Alexis Ronarc’h en 1917, vu par Le Petit Journal. – Wikimedia Commons.


Des soldats d’à peine 17 ans

Une formalité, pense-t-on du côté de Berlin. Car rien ne prédestinait ces soldats, sans spécialité et sans préparation adaptée, à livrer bataille. Inexpérimentées, ces « demoiselles de la Marine », appelées ainsi à cause de leur jeune âge (à peine 17 ans), savent à peine se servir d’une arme ! Portés au registre des « inscrits maritimes », c’est-à-dire pouvant être appelés à tout moment pour servir sur des navires de guerre, ces matelots étaient basés dans les arsenaux de Brest et de Lorient, mais sans emploi. En août 1914, au moment où l’Allemagne déclare la guerre à la France, ils sont incorporés au sein d’une unité nouvellement créée : la brigade des fusiliers marins, sous le commandement du contre-amiral Ronarc’h.

 

Pour eux, pas de mobilisation immédiate sur les champs de bataille, mais un billet aller pour Paris afin d’aider la police dans sa mission de maintien de l’ordre ! Les jeunes marins y font sensation, surtout auprès de la gente féminine, avec leur « bachi » (béret de marin) à pompon rouge… Mais la guerre les rattrape vite. Le 20 septembre, ils sont armés de fusils Lebel et encadrés par des officiers volontaires. Quelques semaines plus tard, pour compenser les pertes des premières batailles terrestres et soutenir l’armée belge qui doit protéger les ports français de Dunkerque et de Calais, les hommes de Ronarc’h sont en Belgique.

Cette « brigade de fortune », comme la décrira plus tard le contre-amiral, reçoit, début octobre, un ordre de mission un peu particulier du général Foch : « La tactique que vous avez à pratiquer ne comporte pas d’idée de manœuvre, mais simplement et au plus haut point l’idée de résister là où vous êtes. [...] Quant à la conduite à tenir, elle consiste pour vous à arrêter net l’ennemi, par la puissance de vos feux en particulier. C’est dire qu’elle est facile à tenir avec les effectifs et les moyens dont vous disposez…» En d’autres termes : tenez votre position sans rien dire, c’est tout ce que l’on vous demande ! Ronarc’h et sa brigade transforment alors Dixmude en un camp retranché en construisant des abris de fortune et en creusant des boyaux qui relient des lignes de défense successives sur les deux flancs de l’Yser.

 

Les Allemands ne prennent pas au sérieux la brigade des fusiliers marins

En face, les Allemands ne prennent pas au sérieux ces « demoiselles » à pompon et lancent, le 15 octobre, un premier assaut que les Bretons repoussent sans difficulté. Les attaques s’intensifient chaque jour un peu plus, avec des bombardements du matin au soir, suivis d’attaques de l’infanterie allemande dès la nuit tombée. Mais à chaque fois, les soldats du Kaiser calent devant l’obstination bretonne.

L’augmentation du calibre des pièces d’artillerie utilisées sur Dixmude témoigne de la résistance inattendue des fusiliers marins et de la volonté croissante de l’adversaire d’en venir à bout. Les Allemands finiront par tirer des obus de 420 millimètres conçus pour détruire les coupoles blindées des forts belges ! L’état-major ordonne alors à Ronarc’h de défendre la ville durant quatre jours en attendant les renforts. « La seule hypothèse qui ne peut être envisagée, c’est la retraite », lui écrit-on. Facile à dire devant des Allemands cinq fois plus nombreux…

 

Des chants bretons pour se donner du courage

La brigade résiste du mieux qu’elle peut. Un jour, un officier voyant une dizaine de compagnons tomber les uns après les autres sous les bombes se met à entonner un chant de marin breton. « L’effet est immédiat : ils oublient la canonnade, et, sur la ligne, cinq ou six chansons s’élèvent, déclenchant les rires partout », rapporte Ronarc’h dans un de ses rapports. Les Allemands s’agacent. D’autant plus que le 26 octobre, une brigade belge puis 1 200 tirailleurs sénégalais viennent enfin les rejoindre. L’état-major belge, qui apprend que 1 000 marins ont perdu la vie dans cette bataille, décide alors d’inonder une partie de la plaine pour enrayer l’avancée allemande. Les Bretons sont comme sur une presqu’île, entourée par les eaux de la mer du Nord ! Ils sont un peu dans leur élément… Mais les Allemands, qui veulent en finir une bonne fois pour toutes, envoient dorénavant un feu continu sur Dixmude. La position devient intenable. Au matin du 10 novembre, la 4e armée du duc Albrecht de Wurtemberg parvient à pénétrer dans la ville. Cette fois-ci, le repli des fusiliers marins est inévitable. Plus de 2 000 hommes de la brigade meurent au combat lors de cette seule journée…

 

Les fusiliers marins ont résisté quatre semaines

Ils devaient tenir quatre jours : ils ont résisté quatre semaines dans des conditions épouvantables. Cette bataille de Dixmude a coûté la vie à 8 000 soldats allemands sur 45 000, et l’unité des fusiliers marins aura perdu près de 50 % de ses effectifs. En France, et surtout dans les ports bretons, on parlera de ce fait d’armes pendant plusieurs mois. Le 11 janvier 1915, à Saint-Pol-sur Mer, près de Dunkerque, les rescapés, dont Ronarc’h, recevront, de la main du président Raymond Poincaré, un drapeau « que nos fusiliers marins n’avaient pas encore », selon un article signé Pierre Loti. De quoi honorer le courage de ces « demoiselles bretonnes » devenues des hommes.

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➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire d’août-septembre 2019 (n°46, La Bretagne).

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