Avec sa vue imprenable sur le Bosphore et ses jardins luxuriants, la résidence du musée Sakıp Sabancı fait rêver avant même de pénétrer dans les salles d’exposition. Jusqu’au 1er mai 2022, celui-ci propose un voyage aux prémices de la rencontre entre le dernier calife de Turquie, Abdülmecid Efendi, et l’art. Plus tard, entre Abdülmecid Efendi et la France.
L’exposition « Le monde extraordinaire du prince : Abdülmecid Efendi » est le fruit de deux souffles d’inspiration. Le premier est une redécouverte fortuite, il y a une dizaine d’années, d’un autoportrait du prince datant de 1926 logé au musée Masséna de Nice, et la conviction que la société turque, probablement familière avec le personnage et ses œuvres, l’était certainement moins concernant la seconde partie de sa vie en exile en France. Le second facteur est la récente expertise scientifique pratiquée sur les six tableaux de la collection permanente du musée, dans le but d’en apprendre davantage sur les étapes, les méthodes et les doutes qui ont participé à la naissance de ces œuvres.
L’exposition s’articule autour de 60 peintures, certaines originales, d’Abdülmecid Efendi (1868-1944), mais aussi de copies et de toiles offertes à la dynastie ainsi que de 300 documents tels que des lettres ou des photographies, l’ensemble provenant de 17 collections familiales et de 14 institutions officielles. Le partenariat entre le musée et l’Institut français de Turquie a joué un rôle important dans la constitution de ce trésor historique et culturel.
La visite commence dans une salle où est détaillée la chronologie d’Abdülmecid Efendi et de son temps. Nous parcourons ensuite les différentes pièces qui abritent la collection mise en valeur par une disposition sophistiquée, mais épurée. Enfin, nous terminons par les découvertes issues des analyses scientifiques pratiquées sur les toiles. Le circuit est accompagné par les compositions musicales du Sultan Abdülaziz Han, le père du prince.
Des conférences sont organisées chaque semaine. Parmi elles, l’intervention en français d’Alain Quella-Villéger, disponible sur la chaîne YouTube du musée. Il y présente la relation amicale nouée avec l’écrivain Pierre Loti qui était considéré à la fin du XIXe siècle comme un intermédiaire de premier choix entre la France et la Turquie. Celle-ci nous éclaire à propos de l’éveil de l’influence européenne sur les créations du prince, mais également sur son entrée dans les sphères d’influence françaises, ce qui facilitera son intégration durant les vingt dernières années de sa vie en exile en France.
Tout aussi esthétique que pédagogique, l’exposition honore la promesse d’une représentation complète de l’existence du dernier Calife, et restitue avec justesse la modernité qui en fut tout du long le flambeau. Ses multiples engagements — contre l’orientalisme artistique, l’opposition est-ouest et la tradition-modernité ; son soutien à l’éducation et à la liberté des artistes turcs — font de sa vie, de son œuvre et de cette exposition une délicate ode à l’ouverture d’esprit.
Caroline Deschamps